Le maréchal de Vauban (1633-1707), dont le nom est associé aux places fortes, joyaux de la fortification bastionnée, et à la guerre de siège menée par Louis XIV, a rédigé de très nombreux mémoires dont il a sélectionné ceux qui lui tenaient vraisemblablement le plus à cœur sous le titre «Mes Oisivetés ou ramas de plusieurs mémoires sur différents sujets». Les Oisivetés, souvent citées comme une œuvre originale et importante pour la connaissance de la France du Roi-Soleil, n’ont curieusement jamais été publiées dans leur intégralité. Ce recueil, cité par Fontenelle dans l’éloge funèbre de Vauban à l’académie des Sciences comme exemplaire du génie de son auteur, n’existe dans aucune bibliothèque et l’intérêt qu’il suscite se heurte toujours à la dispersion des volumes qui le composent et au silence du maréchal sur ses intentions. Un travail historiographique a été nécessaire pour établir la liste des mémoires regroupés dans les douze tomes mentionnés par Fontenelle et offrir cette édition critique, première publication intégrale des Oisivetés.
C’est bien une version inédite des vingt-neuf mémoires présentés et annotés par des historiens spécialistes qui est enfin proposée ici. Ces textes, qui forment un ensemble de près de 3650 pages manuscrites, ont été établis à partir de la version conservée dans le fonds privé des archives du maréchal (fonds Le Peletier de Rosanbo).
Par la diversité des sujets traités, c’est la France du règne de Louis XIV qui se dessine au fil du recueil. La recherche d’une solide documentation descriptive, chiffrée, officielle ou officieuse, une observation exercée par d’innombrables déplacements dans le royaume au cours de cinquante années de travail acharné, un solide bon sens et une volonté démonstrative donnent au témoignage de Vauban une grande crédibilité. Son argumentation, qui se veut irréfutable, repose souvent sur des calculs, sur des cartes, des descriptions et des témoignages. Particulièrement soucieux de la défense du royaume, il multiplie les recommandations concernant la double ligne de places fortes, le développement des camps retranchés et une meilleure organisation des troupes et des munitions des places pour éviter les dépenses inutiles. Dans le même esprit, il examine les effets défavorables de la politique royale : révocation de l’édit de Nantes, excès de la fiscalité, inutilité des courtisans, abandon des colonies, annexion de territoires au-delà des bornes naturelles, acceptation de la couronne espagnole pour Philippe d’Anjou, petit-fils de Louis XIV. Tous les mémoires des Oisivetés rappellent que la première mission du monarque doit être le bonheur et l’accroissement de ses sujets, conditions de leur obéissance. Celui qui fut tout au long de sa carrière militaire le fidèle serviteur du monarque absolu se révèle ainsi, dans les écrits de l’automne de sa vie, un homme des Lumières.
UN DOCUMENT EXCEPTIONNEL SUR LA FRANCE DE LOUIS XIV
Par la diversité des sujets traités, c’est la France du règne de Louis XIV qui se dessine au fil du recueil.
La recherche d’une solide documentation descriptive, chiffrée, officielle ou officieuse, une observation exercée par d’innombrables déplacements dans le royaume au cours de cinquante années de travail acharné, un solide bon sens et une volonté démonstrative donnent au témoignage de Vauban une grande crédibilité. Son argumentation qui se veut irréfutable repose souvent sur des calculs, sur des cartes, des descriptions et des témoignages. Particulièrement soucieux de la défense du royaume, il multiplie les recommandations concernant la double ligne de places-fortes, le développement des camps retranchés et une meilleure organisation des troupes et des munitions des places pour éviter les dépenses inutiles.
Dans le même esprit, il examine les effets défavorables de la politique royale : révocation de l’édit de Nantes, excès de la fiscalité, inutilité des courtisans, abandon des colonies, annexion de territoires au-delà des bornes naturelles, acceptation de la couronne espagnole pour Philippe d’Anjou, petit-fils de Louis XIV.
Tous les mémoires des Oisivetés rappellent que la première mission du monarque doit être le bonheur et l’accroissement de ses sujets, conditions de leur obéissance. Celui qui fut tout au long de sa carrière militaire le fidèle serviteur du monarque absolu se révèle ainsi, dans les écrits de l’automne de sa vie, un homme des Lumières.
Les festivités pour l’anniversaire du tricentenaire de la mort de Vauban (1707-2007) ne manqueront pas de mettre en avant la parution de ce document exceptionnel jusqu’alors indisponible dans son intégralité.
L’œuvre de l’ingénieur militaire de Louis XIV a d’autre part été choisie par le Gouvernement français pour être soumise à l’inscription au Patrimoine mondial de l’Humanité (Unesco). Celle-ci sera votée en juillet 2008.
Les Oisivetés traitent, entre autres thèmes, de l’agronomie, de la sylviculture, de la fiscalité, des voies fluviales, de l’aménagement du territoire au titre de l’expansion économique, du dénombrement de la population en vue de la planification, de stratégie militaire, de la dépense publique, de la politique de la France… au Grand Siècle.
Revue de presse
Les Oisivetés de Monsieur de Vauban
(Le Figaro, 25 octobre 2007)
Le premier keynésien
Vauban – Avec l’édition intégrale des « Oisivetés », on découvre que le maréchal de France était aussi audacieux réformateur que visionnaire.
C’est un monument comme il en paraît rarement. Pour la première fois depuis le siècle de Louis XIV, on peut se procurer l’édition intégrale des Oisivetés de Monsieur de Vauban qu’il a commencé à rédiger dans les années 1690, après une longue maladie, et qu’il n’a cessé de poursuivre jusqu’à sa mort en 1707. En cette année de tricentenaire, assez pauvre en publication originale sur l’oeuvre ou la personnalité du grand maréchal, cette initiative doit être saluée avec l’importance qu’elle mérite. Jamais les Oisivetés du grand bâtisseur, qui était aussi un grand penseur, n’avaient été publiées in extenso. Il est vrai que, comme les Pensées de Montesquieu ou les Lettres de Boulainvilliers, elles avaient circulé du vivant de l’auteur. Dès son éloge funèbre du maréchal, Fontenelle les mentionne (il parle de douze tomes), et tout le long du XVIIIe siècle, elles sont citées par certains réformateurs du royaume, comme le fameux projet de Dîme royale. Mais les vingt-neuf mémoires dans leur ensemble, couvrant plus de 3 650 pages manuscrites, n’avaient jamais été réunis dans une publication unique. C’est donc un travail exceptionnel sur le plan historiographique qu’a entrepris l’historienne Michèle Virol accompagnée d’un certain nombre de spécialistes du Grand Siècle et que la petite maison d’édition Champ Vallon a eu le courage de publier.
Il ressort de cette lecture un portrait encore plus riche et plus intéressant du maréchal. Au départ, le lecteur contemporain ne peut être que surpris par les titres rebutants des mémoires de Vauban : Mémoire sur le canal du Languedoc, Mémoire sur les sièges, ou mieux La Cochonnerie ou Calcul estimatif pour connaître jusqu’où peut aller la production d’une truie pendant dix années de temps (sic)… Manifestement, M. de Vauban n’avait pas pris des cours de marketing littéraire. Mais il faut aller au-delà des intitulés de ces mémoires pour découvrir la pensée profonde et pleine de bon sens de ce grand réformateur du royaume. Prenons par exemple le Mémoire sur le canal du Languedoc. Il traduit à merveille la pensée du grand homme et il ne peut manquer de nous intéresser vivement aujourd’hui. Vauban se trouve dans une situation politique et économique diamétralement opposée à la nôtre. La politique du Tout-État de Louis XIV, des Jacobins puis de Bonaparte n’a pas encore marqué l’emprise du secteur public sur l’économie. Au contraire, le royaume se trouve dans la situation où les lobbys les plus puissants de la Commission européenne rêveraient de nous mener : toutes les grandes initiatives sont prises par le secteur privé. C’est le cas par exemple de la construction du canal du Languedoc. Or, que constate Vauban ? Les intérêts privés sont à la recherche du profit immédiat, ils n’ont aucune perspective sur ce que peut signifier un développement à long terme, ils vont au plus pressé et surtout au plus offrant. Ainsi le canal a été jusqu’à présent dessiné, selon lui, de façon absurde, pour servir les intérêts de tel ou tel seigneur ou communauté ayant plus d’influence que les autres. Il est hérissé de péages, etc. Face à ces absurdités du public choice (le tout-privé de nos idéologues libéraux), Vauban prône ce qu’on pourrait déjà appeler une politique prékeynésienne. Au fond, notre maréchal réformateur ne croit pas aux vertus du tout-marché. C’est qu’il peut constater les effets d’une économie médiévale où tout est encore du domaine du privé.
Un esprit très européen
Dans le même temps, ce maréchal visionnaire propose dans le même mémoire un projet de monnaie unique qui anticipe étonnamment notre euro. Il évoque un « moyen noble » « qui serait de faire une assemblée de députés de la part de toutes les principales têtes couronnées de la chrétienté, qui ont droit de battre monnaie, de convenir d’un titre et d’une monnaie universelle ». Vauban père de l’euro avant Monnet et Trichet ! Voilà une des surprises que révèle la lecture de ces Oisivetés (on trouvera aussi en annexe un « Projet de paix assez raisonnable » d’esprit très européen).
On y apprendra plein d’autres choses, comme le fait, par exemple, que Vauban, militaire mais homme de paix avant tout, n’a jamais eu ce bâton de maréchal avec lequel on le représente toujours (pour la bonne raison que cela n’existait pas à l’époque). Bref, au-delà de l’anecdote, une plongée dans une histoire très enrichissante pour le présent.
Jacques de Saint-Victor
(Le Monde, 23 novembre 2007)
Une forteresse de papier
La première édition intégrale des «Oisivetés» de Vauban
Rarement titre aura été aussi trompeur : l’auteur des Oisivetés était tout sauf oisif. Le Dictionnaire de Pierre Richelet (1680) propose deux définitions du terme : « un repos vicieux ou une sorte de paresse », et « un repos d’honnête homme de lettres ou autre qui travaille à son aise ». C’est bien entendu à cette oisiveté-là, l’otium latin, que Vauban faisait allusion lorsqu’il nomma ainsi le monumental recueil de mémoires auquel il travailla durant les vingt dernières années de sa vie. Reste que le qualificatif convient assez mal à l’objet : ce volume est avant tout le reflet d’une vie de travail acharné, de voyages et de recherches, de curiosités et de révoltes.
Sébastien Le Prestre, marquis de Vauban, est né le 3 mai 1633 à Saint-Léger-de-Foucherets, aujourd’hui Saint-Léger-Vauban, dans l’Yonne. Issu de la petite noblesse du Morvan, il choisit très tôt le métier des armes. Il s’engage dans l’armée du prince de Condé à 17 ans, au plus fort de la Fronde. Fait prisonnier par les troupes royales, le jeune homme passe au service de Louis XIV et obtient un brevet d’ingénieur royal à 22 ans. C’est le début de sa prodigieuse ascension : en 1668, il se voit confier la responsabilité de toutes les fortifications du pays. Dix ans plus tard, il est officiellement nommé commissaire général des fortifications. Elevé au grade de lieutenant général en 1688, il est nommé maréchal en 1703. Cette reconnaissance est tardive. Mais elle reste exceptionnelle pour un homme de si modeste lignage.
« CEINTURE DE FER »
Vauban s’est d’abord fait connaître pour son habileté à prendre les places fortes, en limitant au maximum les pertes humaines : on estime qu’il a conduit victorieusement une cinquantaine de sièges. Mais il est resté célèbre comme l’architecte de la « ceinture de fer », celui qui hérissa de forteresses imprenables les frontières terrestres (Lille, Belfort, Neuf-Brisach) ou maritimes (Saint-Malo, Saint-Martin-en-Ré) du pays. Pour mener à bien ces chantiers titanesques, Vauban a passé le plus clair de son temps à sillonner le royaume. Selon Anne Blanchard, auteur d’une remarquable biographie de Vauban (Fayard, 1996), Vauban parcourut au bas mot 180 000 kilomètres de 1668 à 1698, passant même 250 jours sur les routes en 1681. Alors que la cour s’enfermait à Versailles, Vauban voyageait, observait, multipliant notations et mémoires.
C’est en 1689, année où se déclare sa « grande maladie » (une bronchite chronique qui finira par l’emporter), que Vauban décide de mettre en forme ces textes, sous le titre des Oisivetés de Monsieur de Vauban, ou Ramas de plusieurs mémoires de ma façon sur différents sujets. Il ne cessa d’y travailler jusqu’à sa mort. Les vingt-neuf mémoires qui composent cette somme n’étaient pas tous destinés à être divulgués, du moins pas auprès du grand public : que vaut un Traité de l’attaque des places sans un minimum de secret ? Mais plusieurs parties de ce corpus ont pourtant circulé, particulièrement les essais de théorie militaire, qui suscitaient la plus grande curiosité. Les Oisivetés ont été dispersées après la mort de leur auteur, et de nombreux textes existaient en plusieurs versions. C’est dire l’ampleur de la tâche à laquelle s’est attelée Michèle Virol, maître d’oeuvre de cette splendide édition et auteur de Vauban, de la gloire du roi au service de l’Etat (Champ Vallon, 2003).
Sans logique apparente dans leur ordonnancement, très différents dans leur forme comme dans leur propos, les Oisivetés déconcertent, de prime abord. Mais elles constituent un témoignage capital sur l’état du royaume et l’évolution intellectuelle d’un soldat devenu légende nationale.
Le volume contient plusieurs traités d’architecture militaire précis et minutieux, accompagnés de plans et de dessins magnifiquement reproduits. Il est loin de se limiter à cela : en plus de cinquante ans de service du roi, Vauban n’a cessé d’élargir sa perspective. Dans un perpétuel souci d’efficacité, il en est vite venu à s’intéresser à l’organisation de l’armée, à la définition de frontières durables pour le royaume (« Sérieusement, Monseigneur, le Roi devrait un peu songer à faire son pré carré », écrit-il à Louvois, en 1673). Mais il ne s’arrêta pas là : convaincu qu’une grande puissance est condamnée si elle n’est pas prospère, ce catholique convaincu s’éleva contre la révocation de l’édit de Nantes (c’est l’objet de son « Mémoire pour le rappel des huguenots ») et devint au fil du temps de plus en plus sévère contre l’absolutisme louis-quatorzien, et sa ruineuse politique étrangère.
A une époque où la réflexion « oeconomique » en est à ses balbutiements, il se passionne pour la statistique et la fiscalité. Ses réflexions le poussent à préconiser, pour remédier au surendettement de l’Etat, l’établissement d’un impôt qui s’appliquerait à toute la population, du roi au plus humble de ses sujets. Le Projet de dîme royale, qu’il fait publier aux premiers mois de 1707, est interdit, et cet échec obscurcit les derniers mois de sa vie.
Vauban est devenu au fil du temps très critique envers l’absolutisme. Etait-il pour autant un précurseur des encyclopédistes, un républicain avant l’heure, comme on a voulu le dire au XVIIIe siècle ? Sans doute pas. Le vieux maréchal, au soir de sa vie, reste un gentilhomme qui exerce son droit de critique conformément à une certaine tradition aristocratique.
Témoin irremplaçable de son temps, Vauban demeure un soldat. Pas un styliste ni un philosophe. Sa renommée, pourtant universelle, n’en viendra jamais à concurrencer celle du roi. Si la prise de Maastricht, en 1673, constitue l’un de ses chefs-d’oeuvre stratégiques, étudié par des générations d’élèves officiers, Vauban n’est pas représenté dans la galerie des Glaces, qui glorifie les réalisations du régime. Cette victoire est célébrée par une peinture de Le Brun, Le roi prend Maastricht en treize jours. A Louis XIV la gloire des victoires, à Vauban la fierté d’avoir servi.
Jérôme Gautheret