Loin d’être un essai sur l’autobiographie et nullement théorique, ce petit livre retrace un itinéraire et une expérience personnels.Les propos et les entretiens qui les suivent accompagnent, de livre en livre, l’œuvre essentiellement autobiographique de Jacques Borel : à contre-courant des successives « terreurs », des modes aussi bien, qui ont pendant des années régné en France, si force leur est bien de prendre parti, ce n’est jamais toutefois dans un esprit polémique.
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Ce petit livre n’est en aucune façon un essai sur l’autobiographie et ne songe à aucun moment à se donner pour tel. C’est tout au plus un itinéraire et une expérience personnels qu’il retrace et, jusque dans ses redites, il ne se propose non plus rien d’autre. Un simple souci d’honnêteté m’a conduit à ne pas retrancher certaines, précisément, de ces redites, dans la mesure où elles témoignent, à mes yeux du moins, d’autant de constantes.
Ces textes, que je dois à l’amitié de rassembler, ont été écrits en effet à diverses époques et en réponse toujours à des demandes précises, dûment signalées. Par là, ils jalonnent l’entreprise autobiographique amorcée en 1965 avec mon premier livre, L’Adoration, pour de trop évidentes raisons sur lesquelles il n’est pas besoin, je pense, d’insister, sous-titré «roman», et lentement, avec de longs intervalles de silence, poursuivie depuis. (Qu’il me soit seulement permis de faire remarquer que la mention «roman», le lecteur en eût-il été dupe, si elle figure encore sur la couverture de mon second livre, Le Retour, en 1970, a elle-même disparu dès le troisième volume de cet itinéraire, La Dépossession, bel et bien sous-titré, en 1973: Journal de Ligenère, ainsi que des livres suivants, moins amples, où c’est bien le même je qui parle et sans plus désormais aucune transposition de nom sauf en ce qui touche deux ou trois noms de lieux présents dès le premier livre et qui s’étaient alors imposés à moi et, il va de soi, certains êtres toujours vivants et dont on comprendra que l’auteur le plus soucieux de vérité ait à cœur de ne pas les laisser ouvertement reconnaître, Gide lui-même, dont la sincérité ne peut guère être mise en cause, ne s’en fût-il pas tenu, dans Si le grain ne meurt, à cette même règle).
D’autre part, si ces textes, qui sont au plus loin aussi, faut-il le préciser, de se concevoir comme une sorte de «manifeste» de la littérature autobiographique, ou de ce que j’ai appelé un jour la littérature de l’aveu, peuvent éventuellement présenter pour un lecteur honnête quelque intérêt, c’est, me semble-t-il, et à cette date, aujourd’hui, où il m’est offert de les donner à lire à la suite et d’y introduire du même coup une continuité étrangère à tout artifice, à cause de cet échelonnement même dans le temps. Les dates qui scandent ces propos, ces communications, ces réponses à des enquêtes, ces entretiens, et qui, souvent aussi, coïncident avec celles de mes propres livres, sont en elles-mêmes assez parlantes, si je puis dire, pour me dispenser d’attirer davantage l’attention sur elles.
Reste que ces articles, ou ces témoignages, de quelque nom qu’on veuille les désigner, ont été écrits, comme mes livres mêmes, pendant les années où régnaient, en France en particulier, mais non en France seulement, pays où le goût des modes, des manifestes et des querelles littéraires ne date certes pas d’aujourd’hui — il n’est pas jusqu’à l’«école» en principe la plus follement éprise de liberté, le surréalisme, qui ait failli à toute une tradition que, Dieu me garde, plus même que française, j’allais hasarder bien parisienne —, où régnaient, donc, ce qu’il me faut bien me résigner à appeler, successives ou concomitantes, un certain nombre de «terreurs» intellectuelles procédant, comme, paradoxalement, le surréalisme même, par diktats et par excommunications, par mots d’ordre, par exclusions, depuis la dictature sartrienne et sa sommation sans appel à une littérature dite, comme les gens de maison et pour reprendre le trait d’esprit d’Aragon, «engagée», depuis les mots d’ordre non moins impérieux du Nouveau roman et de ses séquelles assez comiquement baptisées «nouveau Nouveau roman», jusqu’aux multiples, mais, chaque fois, non moins draconiennes volte-face de Tel quel, aux impératifs du structuralisme, du ou des divers formalismes enfin, et je dois en omettre. Toute une partie de l’Université passée de surcroît mystérieusement à l’avant-garde, ce qui n’était guère, il faut en convenir, dans ses habitudes, mais n’en demeurant pas moins fidèle à sa vieille tradition d’épigone, emboîtant le pas, l’autobiographe, si attentif à son temps que par ailleurs il se voulût, ne pouvait dès lors comme, aussi bien, tout écrivain résolu à «persévérer dans son être» et à ne pas se soumettre au fouet ou au vent des modes, que se situer, banni, proscrit, menacé dans sa démarche elle-même bel et bien frappée d’interdit, et à l’exception, sans doute, du seul Leiris, à contre-courant.
En marge. A contre-courant. Cela dit, que je ne pouvais pas, me semble-t-il, ne pas rappeler, être acculé à plus de solitude toujours, que l’on songe à Stendhal, au dernier Rousseau, quelques choix généreux qui puissent au monde être les siens, telle est peut-être en effet la loi même de l’autobiographe — ou d’une certaine famille du moins d’autobiographes —, tenu qu’il est de n’obéir qu’à cette seule nécessité en lui, à cette urgence qui, comme elle la fonde, seule aussi à ses yeux justifie son entreprise et, avec elle, à elle indissociablement lié, cet acte de foi en la parole qui à moins qu’on ne l’étouffe tout de bon, persiste en lui jusque dans le procès qu’il est parfois porté à lui intenter, et qui, se heurtât-il au doute le plus taraudant, jusqu’à son dernier souffle sera là encore: de cette singulière et paradoxale famille d’êtres, par la vie plus que par l’écriture d’abord souvent fascinés, avant que l’écriture ne prenne le relais de la vie ou ne tende à la remplacer, lequel, comme s’il ne pût être de parole pour lui que testimoniale ensemble et testamentaire, ne rêve que son dernier soupir se confonde avec la dernière trace d’encre elle-même pareillement expirée et du même sceau pareillement scellant la vie et ces lignes en long sur la page dont nul ne sait si elles seront jamais dignes du nom d’«œuvre»?
Été 1993
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Sommaire
Avertissement 7
Propos
L’autobiographe et le réel 13
L’aveu, aujourd’hui? 23
Ecriture et lecture dans l’autobiographie 39
Notes sur Baudelaire et l’aveu 49
Rêve et autobiographie 59
Entretiens
Entretien avec Alain Clerval 85
Poésie et Vérité 95
Entretien avec Gérard Dessons 135