Les tremblements de terre sont les grands absents des manuels scolaires, les oubliés de l’histoire de France. Pourtant, l’exploration des archives et des sources historiques fait apparaître que plus de 750 séismes ont frappé le territoire français aux XVIIe, et XVIIIe siècles, dont plus de 250 ont causé des dommages matériels, pour certains considérables.
Grégory Quenet révèle ici un pan ignoré de la mémoire longue de la » nation France « , tout en mettant au jour de curieux épisodes : quelques jours après son mariage avec Marie-Thérèse, dans les Pyrénées, le jeune Louis XIV ressent le terrible tremblement de terre du 21 juin 1660 et cette coïncidence suffit pour faire courir des rumeursd’un mauvais présage. Peu de temps après, paraît un poème qui érige pour la première fois les secousses sismiques en signe politique positif, annonçant la manière dont elles deviennent un attribut d’un souverain tout-puissant, dans la poésie, le théâtre et l’opéra… Les savants ne sont pas en reste : les membres de l’Académie Royale des Sciences de Paris entendent près de deux cents communications sur le sujet en un siècle et demi.
Cette histoire tellurique méconnue se déploie sur un théâtre européen : le 11, novembre 1755, Lisbonne est détruite par un séisme exceptionnel, suivi d’un tsunami et d’un incendie non moins monstrueux. Cet événement ébranle l’Europe entière, suscitant des dons multiples et un débat philosophico-théologique de grande ampleur sur l’existence du Mal. L’opinion publique se passionne pour les querelles scientifiques sur la cause des tremblements de terre, qui voient la victoire des théories électriques. Quant au roi de Prusse, Frédéric le Grand, en 1756, il décide de faire interdire l’existence des tremblements de terre dans son royaume, menaçant de jeter en prison quiconque prétendra en avoir ressenti un !
Loin de l’anecdote, tous ces épisodes révèlent la manière dont les tremblements de terre, mal connus et mal définis au début du XVIe siècle, deviennent peu à peu un objet scientifique, juridique, politique et culturel, aux contours de plus en plus précis. Ils cristallisent les interrogations des Lumières sur la nécessité et les moyens de lutter contre les catastrophes et le mal physique. La conviction que les secousses se multiplient après 1750 hante les observateurs et les passions telluriques trouvent leur paroxysme en France.
Du fléau de Dieu au risque naturel, ce livre fait pour la première fois des tremblements de terre un objet d’histoire, qui réfracte les peurs individuelles et collectives, réelles et imaginaires, tout en témoignant des débats et des combats qui sont à la source de notre modernité.
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aux XVIIe et XVIIIe siècles:
la naissance d’un risque
Le sommaire
INTRODUCTION
PREMIERE PARTIE
Les tremblements de terre
réels, connus, imaginés
Chapitre 1: Histoire et géographie d’un risque
Plus de 750 séismes entre 1600 et 1800 — Derrière les chiffres d’intensité, les dégâts — Plusieurs séismes destructeurs — Et de nombreux séismes dommageables — Une géographie complexe et étendue — Les failles, des mécanismes complexes — Tremblements de terre et malheurs des temps — Dommages et vulnérabilité
Chapitre 2: Écrire l’histoire des catastrophes naturelles, entre passé et présent
Un carrefour historiographique — La catastrophe, une structure sociale — Éclatement et renouveau — La redécouverte des séismes du passé — L’historien en situation de pluridisciplinarité — Phénomène physique ou fait social? — Une nouvelle histoire des catastrophes naturelles à l’époque moderne —
Chapitre 3: L’événement sismique, une trace
• Les académiciens au chevet de la terre — De l’imaginaire collectif aux stéréotypes littéraires — Une question nouvelle, l’intervention de la presse — Le système d’écriture des curés écrivains — L’enquête historique et ses indices — Du document historique à l’estimation d’intensité
Chapitre 4: À l’échelle des communautés: le séisme de 1708
• La difficile reconstitution des séismes historiques — Un événement mal connu? — Des dommages matériels considérables — Une ville sous le choc — Une catastrophe sans discours? — Le tremblement de terre, creuset de l’identité manosquine
DEUXIEME PARTIE
Les tremblements de terre
dans la France d’Ancien Régime 1600-1740
Chapitre 5: Le grand et horrible tremblement de la terre
1550-1660
Les prodiges de la Renaissance — La culture livresque des tremblements de terre — Signes prophétiques et manifestations divines — La monarchie et le signe disputé — Les croyances du plus grand nombre — Le temps de l’information rare et inégale — La Gazette de Renaudot: une catastrophe rationalisée et politisée
Chapitre 6: Le spectacle de la nature 1660-1740
Louis XIV et le séisme pyrénéen de 1660 — Le roi et la domestication des signes de la nature — La pastorale du tremblement — Les secousses et les théories de la terre — Séismes proches, séismes lointains — Le retentissement du séisme italien de 1703 — Des fidèles moins impressionnables
Chapitre 7: Reconstruction, protection et assistance
L’État et le recul des malheurs des temps — Limites et ambiguïtés de l’État protecteur — La monarchie face aux séismes destructeurs — Les intérêts du gouvernement et la grâce royale — La catastrophe vécue — Les cultures locales et le risque sismique
Chapitre 8: La naissance d’un nouvel objet
L’État et la codification de la responsabilité — Après la catastrophe, les procès — Les savants et la découverte des séismes du royaume — La révolution de l’information des années 1750 — Le bon prêtre et l’écriture gestionnaire — La constitution d’une mémoire locale
TROISIÈME PARTIE
Les Lumières, entre risque et catastrophe
Chapitre 9: Un «évenement monstre»,
le tremblement de terre de Lisbonne
• Un phénomène exceptionnel — Le débat philosophico-théologique sur le mal — Le débat physique sur les secousses — À la recherche de nouvelles procédures d’enquête — Les archives de la terre — Un événement monstre — Une amplification européenne — La naissance d’un stéréotype
Chapitre 10: Triomphe de la science et nouvelles pratiques
Les rivalités scientifiques à l’heure de la publicité — Un des premiers débats scientifiques populaires — La consolidation du nouveau protocole d’observation — Un protocole diffusé et imité — Les pratiques du temps des gens ordinaires — L’événement et la socialisation de l’espace
Chapitre 11: La catastrophe, un enjeu social
Le regard de l’expert — Les communautés et l’État — Superstitions et culture populaire — Le recul de la culture de la peur — La complexité des attitudes «populaires» — La catastrophe dans la presse provinciale •
Chapitre 12: Politiques de la catastrophe
Penser autrement le mal physique — Les technologies de la catastrophe — Les nouvelles valeurs de la sensibilité — Des Lumières fragiles — La catastrophe et le temps des civilisations — D’un sémiophore à l’autre
CONCLUSION
ANNEXES
Annexe 1. Tableaux
Annexe 2. Cartes
Annexe 3. Figures
Annexe 4. Illustrations
SOURCES
Sources manuscrites
Sources imprimées
BIBLIOGRAPHIE
Bibliographie générale
Études de sismicité historique
INDEX
Index géographique et sismique
Index des noms de personnes et d’institutions