Comment lire le politique à travers le culte rendu aux grands morts, héros ou martyrs? À l’âge romantique, de la Restauration des Bourbons au retour des cendres de Napoléon (1814-1840), au moment où la dignité des morts est réaffirmée, où les larmes sensibles sont valorisées, Paris résonne de ces deuils dynastiques, étatiques, contestataires, voire insurrectionnels qui disent les fractures et les efforts de réconciliation d’une société avec elle-même.
Une génération après la Révolution, en plein apprentissage de la vie parlementaire, les affontements politiques s’expriment par des panthéons rivaux, des mémoires contradictoires et des rites concurrents. Le deuil des victimes de la Révolution vise à exorciser le régicide dans une improbable expiation nationale. Les funérailles dynastiques des Bourbons (duc de Berry, Louis XVIII) célèbrent le seul sang royal, quand le régime de Louis-Philippe «bricole» un deuil national réconciliateur – celui de Napoléon ou des insurgés de 1830. Au risque de voir se retourner cette mémoire contre lui-même. Dans le même temps, des funérailles d’opposition permettent à des exclus de la politique de pénétrer par effraction dans le cours de l’histoire. Des foules en deuil traversent la capitale et inventent l’«enterrement-manif» autour de la dépouille du général Foy, de Benjamin Constant, du général Lamarque ou de La Fayette. L’impossible deuil des vaincus, de Napoléon aux insurgés tombés sur les barricades, parvient aussi à percer dans l’espace public populaire.
À travers ces deuils concurrents, l’ouvrage propose un «étonnant voyage» (Alain Corbin), une immersion complète dans des gestes, des mots, des émotions qui suggèrent une autre manière d’écrire l’histoire politique.