Champ Vallon

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CLAUDE DOURGUIN Escales

New York, Dublin, Naples

« L’escale, sa respiration mesurée entre deux points du temps : l’arrivée et le départ. J’aime cette patrie brève du voyageur. Car il s’agit bien de vivre, d’habiter ici, d’avoir ses habitudes — ses chambres, ses cafés, ses promenades, ses rues, ses magasins et ses marchés. Chez moi à Manhattan, sur les bords de la Liffey ou dans Spaccanapoli, je sais aussi devoir partir un jour. Escales : des séjours qui ne sont que des passages. Cet ici qui revigore, dispense ses vertus, il faudra l’abandonner. Quitter. Et les liens sont plus forts de se nouer sans arrière-pensée, délestés d’avenir. »

New York, la trépidante, Dublin, la secrète, Naples la bigarrée : autant d’étapes d’un vagabondage sans cesse recommencé dans les trois cités portuaires. Chacune d’entre elles a sa couleur, son odeur. Des regards, des images, des souvenirs, peu à peu la précisent : c’est la part de désir que se réserve le voyageur.
Petit poucet invisible, la passante est autant en quête de soi que des villes: sentir et connaître, disposer d’une vie plus large ou, peut-être de plusieurs vies.

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Faire halte. S’arrêter. Quelques jours, quelques semaines. Repartir, autre déjà. Revenir, un mois, un an, des années plus tard – ainsi, sans doute, jusqu’à la fin. Parce que, sur la route, il faut bien se ravitailler, chercher, trouver la nourriture – celle qui en ce moment convient et nulle autre pour la remplacer –, celle, parfois, qui va sauver, remettre la vie sur pieds.

Sentir et connaître, disposer d’une vie plus large ou, peut-être, de plusieurs vies. Instants, les dons de la rue, les manières dont chaque ville invente le quotidien, architectures et tout ce que l’imaginaire a tissé autour des lieux, sans cesse éveillent les songes, requièrent.
Sur la carte, sur le planisphère intime les lieux d’escale écrits d’une autre encre accélèrent soudain le rythme du cœur. Établis, disponibles ils attendent. De longtemps prévus quand la vie prend ses lignes régulières ils disposent leurs promesses: un halo trembleur les entoure – ce sera ce que l’on connaît et autre chose encore, semblable et différente la ville dans ce jeu imperceptible laissera surprendre ses inflexions secrètes; tandis que l’anxiété légère de parvenir au terme fixé, d’arriver à bon port court sur les jours. Ou bien, soudain rejoints, à tous prix, toute affaire cessante, c’est alors l’allégresse de se jeter dans des bras qui ne vous attendaient pas. Ah! ce vent de la surprise pour celui que la marche a éreinté.
L’escale, sa respiration mesurée entre deux points du temps: l’arrivée et le départ. J’aime cette patrie brève du voyageur. Car il s’agit bien de vivre, d’habiter ici, d’avoir ses habitudes – ses chambres, ses cafés, ses promenades, ses rues, ses magasins et ses marchés. Chez moi à Manhattan, sur les bords de la Liffey ou dans Spaccanapoli, je sais aussi devoir partir un jour. Escales: des séjours qui ne sont que des passages. Cet ici qui revigore, dispense ses vertus, il faudra l’abandonner. Quitter. Et les liens sont plus forts de se nouer sans arrière-pensée, délestés d’avenir – les lendemains seront tranchés, ou bien ils viendront imprévisibles, impromptus et tout sera à recommencer: même faim et d’autres rencontres – «la vie immédiate».
Chacune de ces villes s’ajoute à moi-même et il me plaît de savoir au loin dispersées, laissées à leurs développements inégaux, imprévus, ces parts diverses de la sensibilité, ces lieux de mon imagination.
Liffey toute noire, Dublin s’ébroue dans le vent de mer, sans un mot World Trade Center pose dans la lumière coupante et bleue ses gratte-ciel, chaque escale livre de la ville son présent tyrannique et vif – conservées quelque part dans les archives de la mémoire les images du passé existent, mais la ville, elle, qui se construit sur elle-même, ne les garde pas –, lance, cinglant, son air de renouveau: on ne se voit pas vieillir.
La vie pleine, neuve et interrompue.
On l’aura compris, c’est d’elle qu’il est question, d’une certaine façon de la conduire plus que de voyages, à moins que les escales, justement, n’aient fait de la vie, d’abord, un voyage.
New York, Dublin, Naples, quelques-unes de ces escales.

Biographie

Petite enfance en haute montagne, puis années de formation (école, université) à Paris, accompagnées très tôt de parcours à pied, voyages, séjours en solitaire à travers l’Europe — Italie, Pays Bas, Prague. Les études (lettres, esthétique et histoire de l’art) achevées, Claude Dourguin choisit de s’installer en province dans le sud des Alpes, la Haute Provence, de redonner vie à une campagne (activités apicoles en souvenir de Virgile, culture de lavandes). Longtemps plus tard l’olivier entraînera sur le versant méditerranéen. Les « Travaux et les Jours » s’associent aux voyages, chemins et routes restent ouverts. Beaucoup de vagabondages ponctuent cette vie, qui nourriront des proses, des rêveries au fil des paysages — les côtes bretonnes, scandinaves, irlandaises, celles de la Baltique, les Scilly’s, les Lofoten, les massifs alpins, de L’Oisans aux Grisons, au Val d’Hérens, les étendues lapones… ; des villes, Prague, Londres, Vienne, New York, San Francisco, Tallin, Saint Petersbourg… L’appel de l’Italie, constant, selon les saisons mène en Sardaigne, dans les Marches, en Vénétie, en Ombrie, en Toscane, en Lombardie, dans les Pouilles, de campagnes en cités. Il s’agit toujours de « connaître la saveur du quotidien » par goût profond des lieux, villes, paysages, mais aussi de céder à l’attrait de l’aventure, « au sens exact être disponible à ce qui advient, la chance du chemin, son risque tout autant. » Toutes attitudes, pratiques justifiées par la conviction de Rilke partagée, « expériences » dit-il, nécessaires : « Pour écrire un seul vers, il faut avoir vu beaucoup de villes, d’hommes et choses… »
La passion pour la peinture, affirmée, enfin, elle aussi fait voyager — d’Amsterdam à Dublin, d’Arezzo à Venise … — et nourrit une réflexion d’un volume l’autre.

Elle a publié aux Editions Champ Vallon :
La Lumière des villes, 1990
Lettres de l’Avent, 1991
Recours: Patinir, Lorrain, Segers, 1991
Ecarts, 1994
La Forêt périlleuse, 1994
Un royaume près de la mer, 1998
Escales, 2002

aux Editions Isolato :
Laponia, 2008
Les nuits vagabondes, 2008
Chemins et routes, 2010
La peinture et le lieu, 2012
Journal de Bréona, suivi de Notes sur la montagne, 2014
Parages du nord, 2014

aux Editions José Corti :
L’Embellie, inQui-Vive, autour de Julien Gracq, 1989
Ciels de traîne, 2011
Points de feu, 2016

aux Editions La Dogana :
Peinture, poésie, paysage, in Pierre Chappuis, le lyrisme de la réalité, 2003

aux Editions Solaire-Fédérop :
L’Archipel, 1984
Villes saintes, 1987

Elle a publié, en collaboration, le second tome des œuvres complètes de Julien Gracq dans la collection La Pléiade.

Escales _ Claude Dourguin 2002