« L’escale, sa respiration mesurée entre deux points du temps : l’arrivée et le départ. J’aime cette patrie brève du voyageur. Car il s’agit bien de vivre, d’habiter ici, d’avoir ses habitudes — ses chambres, ses cafés, ses promenades, ses rues, ses magasins et ses marchés. Chez moi à Manhattan, sur les bords de la Liffey ou dans Spaccanapoli, je sais aussi devoir partir un jour. Escales : des séjours qui ne sont que des passages. Cet ici qui revigore, dispense ses vertus, il faudra l’abandonner. Quitter. Et les liens sont plus forts de se nouer sans arrière-pensée, délestés d’avenir. »
New York, la trépidante, Dublin, la secrète, Naples la bigarrée : autant d’étapes d’un vagabondage sans cesse recommencé dans les trois cités portuaires. Chacune d’entre elles a sa couleur, son odeur. Des regards, des images, des souvenirs, peu à peu la précisent : c’est la part de désir que se réserve le voyageur.
Petit poucet invisible, la passante est autant en quête de soi que des villes: sentir et connaître, disposer d’une vie plus large ou, peut-être de plusieurs vies.
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Sentir et connaître, disposer d’une vie plus large ou, peut-être, de plusieurs vies. Instants, les dons de la rue, les manières dont chaque ville invente le quotidien, architectures et tout ce que l’imaginaire a tissé autour des lieux, sans cesse éveillent les songes, requièrent.
Sur la carte, sur le planisphère intime les lieux d’escale écrits d’une autre encre accélèrent soudain le rythme du cœur. Établis, disponibles ils attendent. De longtemps prévus quand la vie prend ses lignes régulières ils disposent leurs promesses: un halo trembleur les entoure – ce sera ce que l’on connaît et autre chose encore, semblable et différente la ville dans ce jeu imperceptible laissera surprendre ses inflexions secrètes; tandis que l’anxiété légère de parvenir au terme fixé, d’arriver à bon port court sur les jours. Ou bien, soudain rejoints, à tous prix, toute affaire cessante, c’est alors l’allégresse de se jeter dans des bras qui ne vous attendaient pas. Ah! ce vent de la surprise pour celui que la marche a éreinté.
L’escale, sa respiration mesurée entre deux points du temps: l’arrivée et le départ. J’aime cette patrie brève du voyageur. Car il s’agit bien de vivre, d’habiter ici, d’avoir ses habitudes – ses chambres, ses cafés, ses promenades, ses rues, ses magasins et ses marchés. Chez moi à Manhattan, sur les bords de la Liffey ou dans Spaccanapoli, je sais aussi devoir partir un jour. Escales: des séjours qui ne sont que des passages. Cet ici qui revigore, dispense ses vertus, il faudra l’abandonner. Quitter. Et les liens sont plus forts de se nouer sans arrière-pensée, délestés d’avenir – les lendemains seront tranchés, ou bien ils viendront imprévisibles, impromptus et tout sera à recommencer: même faim et d’autres rencontres – «la vie immédiate».
Chacune de ces villes s’ajoute à moi-même et il me plaît de savoir au loin dispersées, laissées à leurs développements inégaux, imprévus, ces parts diverses de la sensibilité, ces lieux de mon imagination.
Liffey toute noire, Dublin s’ébroue dans le vent de mer, sans un mot World Trade Center pose dans la lumière coupante et bleue ses gratte-ciel, chaque escale livre de la ville son présent tyrannique et vif – conservées quelque part dans les archives de la mémoire les images du passé existent, mais la ville, elle, qui se construit sur elle-même, ne les garde pas –, lance, cinglant, son air de renouveau: on ne se voit pas vieillir.
La vie pleine, neuve et interrompue.
On l’aura compris, c’est d’elle qu’il est question, d’une certaine façon de la conduire plus que de voyages, à moins que les escales, justement, n’aient fait de la vie, d’abord, un voyage.
New York, Dublin, Naples, quelques-unes de ces escales.