Ce livre retrace le destin méconnu de la plus importante des «bonnes villes» du royaume. De la Ligue à l’échecde la Fronde, entre 1594 et 1654, l’histoire politique de la «nation France» est celle de la construction del’absolutisme royal, pleinement incarné par Louis XIV. Cette histoire est aussi celle d’une mutation des rapports noués entre la royauté et ses élites provinciales soumises désormais à une autorité nouvelle, assujetties à des exigences redoublées. La figure de la «ville classique» du siècle des Lumières esquisse alors ses principaux traits tandis que s’estompent ceux de la cité du Moyen Âge et de la Renaissance, fière de son indépendance, de ses privilèges et de ses «libertés».
Du sacre de Henri IV à celui de son petit-fils, Lyon illustre l’ampleur des mutations politiques et culturelles à l’œuvre au temps de la raison d’État. Pièce essentielle dans le jeu politique de la Ligue au point d’abriter deux de ses plus importants protagonistes, la cité doit reconnaître cependant l’autorité d’Henri IV et retisser avec lui les liens rompus de fidélité et d’amour qui justifiaient ses prérogatives et ses privilèges. L’histoire de la ville et de son consulat ne semble plus alors qu’interpréter une variation locale du triomphe de l’assujettissement des libertés urbaines sous le règne des deux premiers rois Bourbons et de leurs puissants ministres, Richelieu et Mazarin, comme en témoigne l’absence de révolte frondeuse à Lyon.
Toutefois cette lecture quelque peu univoque d’une «réduction à l’obéissance» où tout serait imposé par le sommet doit être corrigée, car dans les plis mêmes de l’absolutisme royal le consulat lyonnais a su construire un espace de liberté et conserver, paradoxalement, une forme d’indépendance nourrie par la culture d’ordre qui prétendait le soumettre. En imaginant autrement la politique, en aménageant leur relation avec le roi et ses représentants locaux, notamment le gouverneur, les prévôts des marchands et les échevins lyonnais affirmèrent leur indéfectible fidélité à la Couronne comme l’irréductible autonomie de leur pouvoir; en ce «siècle des saints», ils inventèrent un imaginaire capable de transformer leur ville en cité providentielle, au nom d’une transcendance supérieure à celle du souverain lui-même.
Centré sur l’imaginaire politique des élites lyonnaises, leur action et leurs songes, ce livre offre une compréhension renouvelée des mécanismes de l’Etat royal. Il met en évidence la construction d’un «absolutisme municipal» inattendu et singulier.
Lire le sommaire
Préface
Denis Crouzet
Introduction
Prologue
Les difficiles lendemains de la Ligue lyonnaise
I. Chronique d’une rébellion
De l’adhésion à la Ligue
À la reconnaissance d’Henri IV
II. L’héritage de trente ans de troubles
Un passif économique et financier
Une identité citadine en question
Une référence royale brouillée
PREMIÈRE PARTIE
DE LA SOCIéTE CONFLICTUELLE
à LA COMMUNAUTE HARMONIEUSE:
L’INVENTION DE «LA BONNE VILLE» DE LYON
1594-1608
Chapitre 1: Le roi et la ville: la communion des corps
I. Une ville blanche comme les lys
Une révolution symbolique, économe en vies
Le spectacle des couleurs et des armes du roi
II. Le portrait du roi comme «couronne»
Un simulacre royal
Le sacrifice du prince Bourbon
III. Le portrait du roi comme «prince»
Un visage pour un trône
La grande Entrée de 1595
Une cérémonie et ses lectures – La fabrication de l’événement – Le triomphe du prince dans celui du roi
IV. Henri IV démiurge
L’artisan d’un temps pacifié
La paix de Vervins – La paix de Lyon
L’artisan d’un temps fécond
Le triomphe de Marie de Médicis – Une reine pour un dauphin
V. Un imaginaire matriciel et fusionnel
Le roi, la religion et la ville
Une trinité renouvelée
Une même chair et un même nom
Chapitre 2: La maîtrise du réel
I. Le règlement de la dette publique
Un problème politique d’abord
Une solution institutionnelle et financière
Les subsides royaux – La réduction rapide de la dette consulaire
II. Travailler à la prospérité de la ville
Normaliser les cadres économiques régionaux
La monnaie – Le commerce – «Laissez passer et laissez faire»
Faire justice des abus financiers et économiques
III. Les Grands Jours de Lyon
Une justice extraordinaire et politique
Le nom du pouvoir – Un outil de reconquête – De la nécessité faire vertu
La session lyonnaise de 1596
Du palais de la cité au couvent des Carmes – Quatre mois de justice souveraine à Lyon
Une justice spectaculaire: l’ordre des discours
De son arrivée… – … à son issue
Chapitre 3: La résurrection lyonnaise
I. Un «Lyon» royal
L’œuvre de la raison et de la providence
Abolir le chaos et éteindre la passion – Un jugement divin – Le drame d’un seul instant
Une cité exemplaire
Une leçon de vertu – Un phare dans la tempête
Des images éloquentes
Du drame à la délivrance – Une œuvre lyonnaise
II. Lyon sous la conduite d’Astrée
Le roi d’un renouveau temporel
L’efficace du modèle platinicien – Les ressources stoïciennes du mythe henricien
Les zéphyrs et les fleuves de lait de l’Arcadie
Aux source de l’âge d’or – Arcadie et «isles fortunées» de la Renaissance
Astrée en son trône lyonnais
D’une image littéraire et poétique… – … à un système d’intelligibilité – Un pays de cocagne bien réel
III. Les trois jours d’aveuglement des lions
Le lion fantastique des bestiaires
Le vertueux réveil du Lyon
La beauté d’une ville fidèle
IV. Le corps du Lyon
Le consulat contre les particularismes
La division en son sein? – Une représentation concurrencée: les prétentions du clergé – La «révolution» communautaire de juillet 1595
Une identité en question
L’étranger et la ville – Une ligue lyonnaise étrangère?
Le magistrat populaire en héros civique
Un mimétisme attique – Un autre Thésée
Un non-Lyonnais peut-il diriger la cité?
Chronologie d’un conflit – La crise de décembre 1601 – Un accord sous les auspices du roi
Chapitre 4: Refondation royale
I. Refonder la ville comme un corps de citoyens: l’échec consulaire
Exiler, exclure, épurer: une politique en faillite
Formes et usages de l’ostracisme – Les hommes et la mémoire: une difficile démiurgie civique
Le roi nécessaire
Le compromis henricien: de l’autonomie… – aux nécessités d’une intervention
II. Refonder la ville comme un corps politique: l’œuvre souveraine
Généalogie d’une décision
Deux textes pour préambule: un cadre théorique – Un exercice pratique? Les élections de décembre 1594 – Une mesure policière et militaire d’abord, politique ensuite
Une date fondatrice: décembre 1595
Un homme en action: Bellièvre – La juste punition d’une ville rebelle? – Les raisons d’une réforme exceptionnelle: une lecture polémique – L’artisan royal au cœur même du corps consulaire
Des élections sous influence: les voies du «modus vivendi»
Du renouveau ligueur à la réaction royaliste: 1596-1600 – Décembre 1601: un bâton et une épée contre la liberté – Décembre 1602-juin 1603: l’aménagement d’un compromis électoral – Un modus vivendi paisible: 1603-1609 – Une réforme inutile: le succès d’un système
III. Les acteurs d’une identité urbaine renouvelée
Premiers agents et envoyés secondaires
L’expérience lyonnaise de Bellièvre et de Vic – La Fin, Saint-André et quelques autres – La mission de Pierre Forget de Fresnes
Pomponne de Bellièvre à Lyon
L’homme du roi – Pater familias et chef de clan
Trois figures d’intendants
Méry de Vic – Eustache de Refuge – Guillaume de Montholon
Le chimérique parlement lyonnais
Une question ancienne… – … aux enjeux symboliques nouveaux
Chapitre 5: Les temps de l’union rêvée
I. Une ville orpheline?
Où apparaît Halincourt
Un mariage pour un gouvernement – Des noces sans lendemain?
Triomphe et chute de Nemours
Le bon plaisir du roi – L’accueil d’un prince rebelle et la fuite d’Halincourt – La gloire parisienne d’un gouverneur lyonnais – D’une ambition royale à la prison de Pierre-Scize
Un gouvernement consulaire?
La tutelle de l’archevêque – Le ballet des compétiteurs
II. Philibert de La Guiche gouverneur de Lyon
Un gouverneur en chef et trois lieutenants-généraux
La faveur d’un compagnon du roi – Guillaume de Gadagne et ses gendres
Heurs et malheurs d’une relation
La défense des intérêts lyonnais – Un guerrier infidèle: la politique comme champ de bataille
Proche mais étranger: l’impossible concorde?
Recevoir le gouverneur – Célébrer son mariage – Fêter ses enfants – Honorer sa mémoire
III. «Halincourt imaginaire» ou la fragilité des songes
Un héritier
Une famille au service de l’État – Un fils pour le service du roi – Premières armes: de Matignon à Joyeuse
Du héros ligueur au fidèle du roi
Les guerres de Pontoise – De la trêve à la reconnaissance d’Henri IV
Sous le règne de Mars et de Mercure
Des champs de bataille français… – … aux honneurs italiens
L’expérience romaine
La faveur de son père – Représenter le roi sur le «théâtre du monde» – Le fils de Villeroy en vice-roi
Halincourt, berger de Lyon
1607 pour oublier 1589 – Des festivités extraordinaires: les noces de la ville et de son gouverneur – Les résonances bucoliques d’une entrée triomphale – Les rêves d’une politique d’amour et de concorde
DEUXIÈME PARTIE
UN MODÈLE POLITIQUE EN FAILLITE?
«LA VILLE ROYALE» AU TEMPS DES TRAHISONS
1608-1638
Chapitre 6: De la concorde au soupçon
I. Trois ans d’illusion?
Un don de soi à la cité
Un protecteur fidèle et puissant
Les intérêts fisco-financiers de la ville – Une puissance familiale à conserver – Les intérêts militaires de la ville
Un artisan de la gloire urbaine
Une pyramide pour Dieu et une place pour le roi – Une porte pour la ville et pour lui-même
II. Halincourt triomphant
La capitalisation de la faveur
Grand maréchal des logis et maréchal de France? – Du gouvernement en chef du Lyonnais et de quelques autres dignités – De nouveaux horizons matrimoniaux? Une province sous contrôle: la charge de sénéchal du Lyonnais
L’affirmation d’une puissance territoriale
Dans la ville – Dans la province
La victoire du héros sur le rebelle
Un compétiteur en faveur – «Halincourtistes» et «Sainct-chamontistes» dans la «guerre du bien public» – Des manœuvres militaires aux péripéties d’une réconciliation difficile – Les fruits de la victoire – L’attentat d’un «tribun du peuple»?
Les théâtres de la gloire
Dans le marbre des dédicaces – Les vertus d’une famille dans la gloire d’un fils – Le sens des gravures
Chapitre 7: Le temps du désamour
I. Manipuler pour subvertir
Manipuler
Les élections consulaires – Les murailles de la ville: un «lieu» ambigu
Assujettir
Le seigneur des murs – Une milice urbaine à discrétion? – La menace des armes
Subvertir
Un corps de ville à ses ordres? – Des fidélités doubles – Une surveillance vexante et ridicule
II. Humilier pour soumettre
Rabaisser
Du mépris… – … aux injures
Marquer
La ville comme une image sujette – Occuper et métamorphoser l’espace – S’offrir comme un modèle spirituel
La ville, théâtre d’une seule gloire?
Un lieu éloquent – Chronologie et mutations d’un don royal – Un consulat impuissant maix victorieux – Les raisons d’un renoncement – épilogue
Chapitre 8: Infidélités royales et errances lyonnaises
I. Régner sans aimer?
Croire encore à l’amour du prince
Un souverain lyonnais – La scène des triomphes royaux
De la communion au contrat
Le retour d’une chimère – Trois gouttes d’encre peuvent-elles lier un roi?
Du contrat à la soumission
Les excuses des brebis au loup – La sanction de l’incompétence
II. Le théâtre des dissensions
De la fureur du peuple à la violence d’un percepteur
Le viol de la Maison commune – Des injures, la menace d’une épée, des coups de bâton, un pistolet contre la tempe: les tribulations de l’autorité consulaire
L’affrontement des corps: les prétentions des membres
Les ambitions du clergé – Quand la justice crée le trouble – Les officiers des finances et les privilèges de la ville
De la dispersion des membres à un corps sans tête: le désordre et la rupture
Une religion qui délie le corps urbain – De la grande douleur d’être échevin
Chapitre 9: Une gloire inutile:
la mondanité consulaire en échec
Préambule: le nerf de la guerre
L’état des finances lyonnaises en 1632 – La vie à crédit du consulat
I. Ordonner la cité: la magie du verbe et la pierre
L’ordre des mots
Un bouclier de papiers – Une histoire aux ordres et une littérature partisane
L’ordre des pierres
La Maison commune: un manfeste bourgeois – La ville consulaire
II. L’art de la distinction
Les jeux de la reconnaissance
Une robe pour être différent – Une somme de portraits individuels – Des bancs de Saint-Nizier aux cabinets des particuliers
Un effort disciplinaire
Les élections consulaires: de la pratique à la théorie – Être maître chez soi – Rappeler la ville à ses devoirs
TROISIÈME PARTIE
L’INDéPENDANCE DANS LA SUJéTION:
LES HORIZONS NOUVEAUX D’UN ABSOLUTISME MUNICIPAL,
1638-1654
Chapitre 10: Une sujétion domestiquée
I. Les leçons de la géographie et de l’histoire
La «fides» au cœur de l’histoire
Une histoire renouvelée – Le récit glorieux d’une fidélité divine
Un microcosme providentiel
Au cœur du monde – Un monde en son cœur
II. Sortir de la «caverne»: un affranchissement politique
Une communauté inventée
De l’amitié à la charité consulaire: la politique est un anti-humanisme
L’amitié travestie – Le serf-amour – La charité et la refondation dyonisienne de l’ordre politique
III. Un temps sans histoire?
La gloire et les charges de l’échevin
Le renom des membres fait celui des corps – Un consulat noble et souverain
Le gouvernement d’une «cité classique» de l’Ancien régime
L’ordre et la paix – «Tout était calme en tous lieux»
Chapitre 11: Matière et ambition de l’urbs édilitaire
I. Droits et moyens de l’urbanisme consulaire
Privilèges et prérogatives de la voirie consulaire
Une autorité contestée mais maintenue – L’administration de la voirie
Les yeux et les mains du consulat
Le voyer, son commis et les «maîtres jurés» – Amendes et destructions: une direction répressive
II. La voirie, une œuvre politique
La sûreté
Des murs pour protéger – Assurer la paix intérieure
La commodité
Les rues, les quais, les ports et les ponts – Ordonner économiquement la cité – D’une poissonnerie à un temple du commerce
L’ornement
«Et dans quelques années la ville sera belle» – Un espace dramatique
Chapitre 12: Les hommes dans la ville: la civitas consulaire
I. Des corps à sauver: nourrir, entretenir, soigner
Assurer le pain pour tous
De la surveillance – … à l’intervention
Du travail pour du pain
La liberté sous contrôle des métiers – Défendre et susciter l’emploi – Le pouls de la ville: le négoce
Prophylaxie et thérapeutique consulaires
Tableau d’une surveillance ordinaire – De la menace à l’épidémie: la peste de 1628
II. Une démiurgie sociale: des corps sous contrôle
Instruments et manifestations du contrôle social
Les juges commissaires de la police ordinaire de la cité – La garde bourgeoise des pennonages – Les horizons d’une action répressive
D’une foule bigarrée à un peuple uniforme
Le malheureux secourable – – D’une visibilité scandaleuse aux vertus de l’enfermement
Chapitre 13: La ville sainte: l’urbanitas d’un peuple religieux
I. Une «ville-monastère»?
Une dynamique conventuelle
Les «vierges sages» – Les serviteurs vertueux
Un cœur laïc et militant
Des confréries traditionnelles et vivifiées… – … aux formes nouvelles du militantisme catholique – Lyon, une «citadelle de la Contre-Réforme» inachevée?
II. Une capitale miraculeuse et sainte
La moisson miraculeuse du premier xviie siècle lyonnais
Le merveilleux «accident des glaces» de 1608 – Un ordinaire extraordinaire: la floraison des années 1620-1640
Une ville éternellement sainte dans la lumière de
ses martyrs
Un saint contemporain – La ville aux 100 saints et aux 19 000 martyrs
III. Une cité vouée
Un pouvoir consulaire zélé
L’affrontement avec le chapitre de Saint-Jean – Les «œuvres» consulaires
Les vœux de la ville
Saint Roch et saint Nicolas de Tolentin – Notre-Dame, «libératrice de la ville et victorieuse de la peste» – La cité mariale: le grand vœu de 1643
EPILOGUE
L’hÔtel de ville:
une apocalypse consulaire
CONCLUSION
sources et bibliographie
repÈres chronologiques