Champ Vallon

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Sophie | LOIZEAU

Une puissante liberté de ton et d’invention caractérise l’œuvre de Sophie Loizeau, tournée vers la vie de la psyché en même temps qu’enchantée par la présence de la nature et des animaux. Elle s’essaie ici à traduire To Kirsikka, poète, grande femmelle misanthrope et sauvage. D’Helsinki parvint à l’autrice ce manuscrit autographe récupéré in extremis dans les cartons d’un vide-grenier. Elle fut tout de suite séduite par ces paysages, îles, jardins, parcs, lacs, mer, étangs, forêts et apparitions, par tout ce légendaire qui faisait écho à son propre légendaire mais comme déplacé, et durci par une vie d’errance. Squatteuse de cabanes dans la forêt, seule habitante d’une île en mer Baltique, confrontée à la violence du monde et contrainte à la marginalisation pour survivre, qui mieux que To aurait pu porter ces poèmes du déracinement ?

Finalement L’Ile du renard polaire de To Kirsikka est moins un essai de traduction fictive qu’une translation véritable — c’est-à-dire qu’en déplaçant le poème du côté de l’altérité, l’écriture de Sophie Loizeau opère un changement d’état.

 

Dans les livres de Sophie Loizeau s’impose la présence de la nature, du fantastique et du mythologique. Elle y bouleverse les conventions, tâchant « de récupérer ce qui a sombré dans le grand tout masculin » et  tente de donner une visibilité du féminin dans la langue. Son recueil Ma maîtresse forme (Champ Vallon, 2017) a fait partie de la sélection du prix des Découvreurs en 2018.

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Placé sous l’égide de Thot, le dieu égyptien à tête d’ibis, dieu de l’écriture et de la magie, ce onzième livre de Sophie Loizeau, fait la part belle au désir et à l’amour, aux fantasmes et aux mythes. On appréciera le retour d’un autre dieu du panthéon de Sophie Loizeau, Phallus, qu’on n’avait plus rencontré dans cet état dans son œuvre depuis 2005 avec Environs du bouc. On tombe sur des photos de lui prises par l’auteure au milieu d’un cycle de poèmes. Et en couverture où il apparaît plus discrètement. Phallus n’est pas le dieu gréco-romain dominateur et violent, il est tout entier dévoué au plaisir de sa maîtresse Vibrisse. Sous les traits de Thot c’est Phallus éduqué, raffiné, savant. En voyeuses, on assiste à son bain.

« Septième livre de poésie de Sophie Loizeau, Ma maîtresse forme souligne non seulement la primauté de la nature – omniprésente dans cette œuvre –, mais aussi la nécessité vitale de l’écriture, et plus particulièrement en poésie. Ici, la nature est poésie, l’artiste en révèle la beauté à travers deux pulsations, la respiration de la forêt et le ressassement de la mer. Montaigne dit en substance : s’il s’écoute, chacun découvrira en lui un tour particulier, un caractère dominant (forme sienne, maîtresse forme, forme universelle). C’est au moyen de cette maîtresse forme que la nature se fait sentir en nous. Et c’est bien la nature, la terre matricielle, qui apparaît ici et se fait entendre tout au long des cinq parties qui composent ce livre : la terre, la forêt, les bêtes, puis l’écriture et ses lieux, l’enracinement et la filiation, le souvenir et le deuil, et enfin les invisibles au sens où Victor Hugo disait : « Les morts ne sont pas les absents, ils sont les invisibles ».

Dans une langue exigeante et inattendue, mais aussi musicale, syncopée, Sophie Loizeau oscille entre l’universel et l’intime pour entremêler à la nature le trio mère-auteure-fille, piliers de la Sagrada familia, les oiseaux et animaux marins que lui évoquent « sa » mer, la Manche, et l’eau du bain qui devient lieu d’écriture. Chaque poème peut être perçu comme une clé, et non comme une énigme, en ce sens que l’auteure n’écrit pas sur la nature, elle écrit la nature, elle n’écrit pas sur le désir, elle écrit le désir. Mais le point central de ce livre est qu’il est conçu comme un livre bilingue, où une langue serait écrite et l’autre entendue, et cette dernière serait entendue en quelque sorte, de la bouche même de l’auteure, avec tout ce que l’écoute peut avoir de déroutant et de singulier. » (Laurent Citrinot)