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Robert | MARTEAU

Il n’y a nul pas à franchir entre poterie et poèterie-poésie ; aussi le passage de l’une à l’autre se fait-il de plain-pied et sans histoire. Dans la succession du Créateur de l’être et de la matière du monde, créateur en même temps de la forme et de la métamorphose, le potier prend une motte de glaise qu’il monte par mouvement en créant une forme creuse apte à contenir et résonner. Son art est art de musique, et le poète, avec des mots comme matière, en use de même dans son vœu d’atteindre à une forme. L’un et l’autre, dans la mesure de leur innocence, peuvent s’adonner au calcul et à la supputation. Ils regardent, ils écoutent tourner le ciel et, recueillant ce que celui-ci projette sur notre terre, et contemplant, ils font des signes et des écritures pour dire à leur prochain ce qui advient. Hommes de métier, ils ne se veulent pas les détenteurs de la vérité, mais ses libérateurs face à tant de pouvoirs qui la traitent en détenue.

Voyage au verso – Robert Marteau 1989

« Je me rends sur le motif », avait coutume de dire le jeune Corot, descendant peindre sur les rives de la Seine. Ainsi l’auteur, sollicité par les rives, est allé cueillir sur le vif lumière et mouvement, se liant d’amitié avec quelques-uns des résidents : clochards, zonards. Au gré des circonstances, il passe là ses jours, ou bien s’extrait de Paris pour de brefs voyages. Ce n’est pas un carnet de notes, mais un journal où est dit ce que l’instant nous offre, où la prompte saisie s’ordonne musicalement. « À quoi je tends ? À entendre en moi chanter la langue comme la mer murmure dans les coquilles ».

Disons que nous sommes tantôt à la fin des années 20, tantôt au début des années 30. Vous arrivez dans un village d’une quinzaine de foyers, village situé au beau milieu d’une forêt, village où on ne parle à peu près que le patois, où le français ne s’apprend qu’à l’école. Vous ne faites que passer et n’y comprenez rien. Vous y séjournez quelque temps et commencez alors à comprendre. Vous y demeurez, et voilà que peu à peu dans la toile du langage vous distinguez qui est qui, quels sont les fils qui relient les uns aux autres, ainsi tissant un réseau de plus en plus complexe – et d’autant plus complexe qu’il est le fait d’âmes simples.

Un village entre Loire et Pyrénées, à proximité de l’Atlantique. Une multitude de personnages : châtelains, paysans, artisans, jeunes et vieux. Outre les protagonistes, les choses de la campagne, de la forêt, de la mer. C’est toute l’enfance du narrateur, et en même temps toute l’enfance du monde qui prennent ici couleur et forme, en une tapisserie mouvante et romanesque.