« Le vent ne m’est pas celui de l’esprit, dont chacun sait qu’il souffle où il veut – en tout cas pas chez moi. Il représente ici toutes les forces de dislocation s’exerçant sur l’âme, et par voie de conséquence sur le vers : la mort bien sûr (et comme toujours) mais aussi cette fois l’assez aberrant tintamarre de l’époque. J’ai tenté de coller l’oreille à cet étrange coquillage, et le moins qu’on puisse dire est qu’on n’y entend pas la mer. Malgré le vent donc, comme en dépit de l’éparpillement du langage, il arrive qu’ici ou là un murmure résiste, offre presque une consistance. L’un des poèmes éclaire alors le pari de ces diverses tentatives, lorsqu’il affirme (avec une assurance cependant que je me reproche déjà) : “J’aurai du moins fini dansant” ». O.B.
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Essais de voix malgré le vent
L’extrait
Essai de voix pour en finir
Un soir et ce sera comme tout autre soir
Un soir où voir comme toujours le beffroi de bronze et le bref Manet du drapeau
Sur la mairie en face avec l’oblique de ses ogives dans la lumière déjà brillant
Malgré le reste de clarté qui traîne en mare sur la place
Un soir et les nuées poseront des galons aux carrures des astres
La nuit bientôt comme une épaule entre les deux boutons d’argent
Un soir qui met son uniforme lentement
Un soir comme un battement de portes dans un univers bondé d’âmes
Un soir de branches prolongées
Il ne sera pas nécessaire de convoquer l’ordinaire attirail nocturne
La mascarade du malheur les loups posés au visage des choses
Ce soir-là simplement la lumière paraîtrait plus fragile que d’autres fois
Un soir aux vitres des maisons posant le début d’un silence
Un chant de chiffons déchirés
Un soir où pourquoi pas nous aurions décidé de sortir
Avec l’habituelle cérémonie des vêtements ôtés
Essayés remisés toute l’orgie des tissus sur le lit quand on part sans être sûrs d’avoir trouvé
L’efficace panoplie et finalement peu importe
Puisque lins et cotons répandus nous attendent faisant miroir de nos étreintes
Avec tes robes qui se froissent dans les manches de mes chemises
Un soir où tu mettras un peu de rouge à lèvres
Le chat sinuera dans mes jambes je t’attendrai il y aura
La dernière flamme du jour léchant les lames du parquet
Puis très vite la nuit définitive
En voiture à deux parmi les champs de betterave
La recherche d’autres lueurs
Et ce sera l’entrée le gros Cerbère que l’on sait
Dont l’attention depuis longtemps nous fait sourire il ne te quitte pas des yeux
À quel point on peut rien qu’en marchant faire rouler tous les muscles quand on y pense
Le tout pour le regard que tu n’offriras pas
Avec ce dindon courroucé dans la foule on compte d’autres volatiles
Étranges sous les soleils des spots
Et les jeunes s’agitant seuls semblent à chaque coup de reins s’accoupler à leur propre nuit
Quand la musique défait l’espace et qu’il n’y a plus sur la piste
Qu’un peu de feu aux miroirs mis et puis l’enfer de la fumée
Tout ce bruit qu’on appelle fête faute sans doute d’un peu mieux
Un soir et ce sera notre tour
À nous les grands pas vides parmi les ombres d’autres damnés
Dans le déchaînement du son et la foule sentant la sueur
La musique toujours bien mieux que l’ombre m’aura saisi
Je n’aurai d’ouïe que pour le bruit le sang du bruit tapant tout son cœur au-dehors
Je n’aurai d’yeux que pour la débauche des lumières barattées
Et n’ai eu Dieu jamais qu’à ce que l’heure affolée crie grâce sous les coups de tambour et mes coups de talon
Pour que tombe aussi jusqu’au fond de soi la pensée enfin décoiffée
Que tout s’évanouisse et prenne alors allure de braise
Le moindre geste étant théâtre sous la grêle de voix déchirées
Pendant cette tempête on ne pense pas et les corps enfin tiennent lieu de monde
Si bien que musique et miracle ce soir-là comme tous les soirs installeront leur frénésie
L’ivresse à tant tourner que le temps aboli n’est plus qu’un vague ressac du vertige
Un soir et ce sera encore un soir de fausse extase et de bière trop vite bue
Où lentement très lentement tandis qu’en souriant je tenterai de suivre la tourmente
Comme la folie d’un vent dans des feuilles tout un printemps de bras agités
La rose aux tempes avec le rythme ira croissant
Un soir comme tous les autres soirs un soir peut-être proche
Ce ne sera pas le goût de tes lèvres aussitôt le bruit retombé
Ou le geste appris de l’épaule à te reprendre dans mes bras
Mais un léger trébuchement rien qu’une erreur des jambes désaccordées
Et les cuisses gansées non plus simplement de fatigue
Mais du raisin noir de la nuit
Un soir donc et j’en rêve parfois
L’excès irait jusqu’à son terme
Parmi les lèvres des ténèbres et les songes éparpillés
Un soir où sous les velours pailletés sans un cri ni même un soupir
Cheveux collés le front luisant comme un blé tombé sous la faux de la fête
J’aurai du moins fini dansant.