L’histoire de Valentin Conrart est celle d’une puissance sociale fondée sur une exceptionnelle présence dans le monde des lettres de son temps : au lieu de poursuivre l’ascension familiale dans le négoce, il devient officier du roi spécialisé dans les affaires de librairie, secrétaire de l’Académie française, figure en vue des salons, personnage central enfin du monde des auteurs qui l’érigent en » secrétaire d’État des belleslettres « . En démontant les ressorts de cette autorité qui n’est assise sur aucune oeuvre, ce livre revisite ce que le secrétaire de l’Académie appelle lui-même la » profession des lettres » au XVIIe siècle. À suivre Conrart dans ses activités d’intermédiaire de publication, c’est-à-dire de fabrication de la réputation des auteurs, on découvre sous un nouveau jour les relations entre pouvoir royal et écrivains, le processus de production des livres entre le cabinet de l’auteur, l’atelier du libraire et la Chancellerie où se délivrent les privilèges d’impression, et par là les logiques profondes qui gouvernent la » république des lettres « .
Mais Conrart utilise encore sa compétence dans le maniement des textes pour rendre de multiples services au pouvoir politique, aux aristocrates des salons, à la communauté protestante parisienne dont il est un notable, à sa famille de commerçants et de banquiers. La démarche de Nicolas Schapira consiste à observer ces espaces sociopolitiques à la lumière de l’activité d’un homme de lettres en leur sein, et à envisager en retour les lettres à partir de leurs effets dans d’autres champs sociaux, à une époque où ni la littérature ni l’écrivain n’ont encore de statut bien défini. En croisant tous les fils qui tissent une identité sociale, l’auteur démontre ainsi que le professionnel des lettres du XVIIe siècle est un professionnel de la politique, dont la réussite sociale – fortune, honneur, réputation – dépend de la capacité à négocier dans l’action, c’est-à-dire plume en main, la diversité de ses engagements.
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Valentin Conrard: uune histoire sociale
Le sommaire
Introduction 5
CHAPITRE 1: Une entrée dans les lettres 27
De Jacques à Valentin Conrart:
rupture et continuité avec l’univers paternel 29
Jacques Conrart entre les Pays-Bas et Paris, 30 – «Élevé dans le commerce», 39 – Du commerce à l’office, 42
Les affaires et les lettres (1624-1630) 49
L’investissement lettré comme normalisation culturelle, 49 – Un aspirant financier aux moyens limités, 52 – Carrières et actions d’écrivain: les «Illustres bergers», 59 – Un amateur éclairé, 67
Conrart professionnel des lettres (1630-1635) 73
Le «cercle Conrart», 74 – L’institutionnalisation de la figure de Conrart en homme de lettres, 82 – L’espace social de Conrart en 1634 d’après son contrat de mariage, 89
CHAPITRE 2: Quand le privilège de librairie publie l’auteur 98
La Chancellerie comme lieu de pouvoir 101
Les secrétaires du roi parmi le personnel de la Chancellerie, 103 – Un enjeu majeur: la Chancellerie, premier lieu de publication des textes, 110 – La place de Conrart au sein de la Chancellerie, 113
Lettres de privilèges et réputation des auteurs 122
La nouvelle signification des privilèges aux auteurs au xviie siècle, 124 – Discours et mode de publication du privilège, 131 – Les inventeurs de la nouvelle signification des privilèges, 140
CHAPITRE 3: Conrart secrétaire: la publication comme profession 152
Entre auteurs et libraires: Conrart et le monde de l’édition 154
La librairie de Jean Camusat dans le mouvement d’institutionnalisation des belles-lettres (1630-1638), 154– Les «directeurs littéraires» de la librairie Camusat, 159 – À l’articulation des espaces éditoriaux français, italien et hollandais, 166 – Les usages sociaux d’une proximité professionnelle, 174
Publier la réputation 181
Correction et révision des textes: une entreprise de publication, 182 – Fabriquer la réputation, 188 – Conrart gardien des textes: la publication différée, 196
La publication de la réputation de Conrart 205
Les modalités de construction de la figure de Conrart, 206 – La réputation de Conrart, 209 – Entre le monde des lettres et le pouvoir royal: le secrétaire d’État des belles-lettres, 216
CHAPITRE 4: Pratiques de sociabilité et élites urbaines: Conrart homme d’affaires 225
Fabriquer de la distinction 227
La question piégée des salons, 227 – Fabriquer de la distinction: écrivains et espaces mondains, 236 – Sociabilité mondaine et sociabilité intellectuelle, 243 – Deux regards étrangers sur les lieux de sociabilité parisiens, 246
Un secrétaire de confiance 253
Préserver les réputations particulières, 254 – La fabrication de dossiers: le cas du comte et de la comtesse de Maure pendant la Fronde, 258 – Conseiller et agent, 264 – Précieuses informations, 265 – Un protestant au service des pères de la Doctrine chrétienne, 268 – Tant de services dans une amitié: Conrart et Lorenzo Magalotti, 271
La puissance sociale de Conrart 276
La protection des (plus) puissants, 279 – Le protecteur des jeunes auteurs: la puissance d’intercession, 282 – Un petit mécène, 289
CHAPITRE 5: Un protestant honnête homme 295
Un spécialiste des belles-lettres au service des écrits protestants 297
Carrière, réputation et publication dans la communauté réformée, 298 – L’intermédiaire entre les belles-lettres et la production protestante, 306 – La modernisation des textes sacrés protestants, 313
L’intervention dans les affaires de la communauté: Conrart notable de Charenton 318
L’affaire Morus: un révélateur du pouvoir dans la communauté réformée de Paris, 319 – Figures d’hommes de lettres dans l’affaire Morus, 326 – La défense des intérêts protestants, 337
Un protestant «honnête homme» 343
La construction de la figure de Conrart en protestant «honnête homme», 343 – Un intermédiaire entre catholiques et protestants, 347 – La querelle de Jeanne d’Arc, ou la pacification par les belles-lettres, 352
CHAPITRE 6: Conrart en famille 366
Valentin et ses frères: stagnation sociale et désunion familiale? 369
Un bourgeois aisé, 369 – Les trajectoires médiocres de Jacques et Jean Conrart, 373– Des frères peu liés?, 376
La galaxie familiale 378
Des parents plus ou moins proches, 379 – L’ascension des Muysson, 383 – L’alliance entre Conrart et les Muysson, 393
La notabilité de Conrart dans sa famille 396
Une présence intense au sein de la famille, 396 – Un notable aux yeux de ses proches, 398 – Conrart au service de la famille, 403
CHAPITRE 7: Pratiques d’écriture et identité sociale
du secrétaire Valentin Conrart 413
Les recueils de Conrart 414
Les recueils au temps de Conrart, 416 – Le travail de Conrart sur les textes, 423
La fabrication d’un auteur en puissance 428
Un rapport délicat à l’auctorialité, 428 – Une œuvre à venir, 430 – La correspondance entre pratique sociale et œuvre littéraire, 432 – Le règlement de l’héritage littéraire de Conrart, 436
Les «Mémoires» miroir critique de la carrière de Conrart 440
La matrice épistolaire du récit, 441 – Des lettres au récit: Conrart historien, 444 – Conrart face à la Fronde, 452
Conclusion 462
Sources 468
Bibliographie 480
Annexes 494
Index 505