Philippe Petit, dans Marianne, le 5 mars 2001.
GODIN L’HOMME
QUI REVAIT D’ETRE TOUT
C’est un projet démesurément ambitieux qu a entrepris ce Victor Hugo de la philosophie. Car Christian Godin, à l’image de Léonard de Vinci, caresse l’espoir d’avoir des « clartés de tout », et rêve de toucher du doigt l’homme universel.
Par Philippe Petit. Illustrations: René Botti
La philosophie est-elle tendance? Au train où vont les choses, la question finira bien par se poser, Les discoureurs au placard. Place à l’émotion. Les systèmes, on a vu où cela nous menait. Le rationalisme dominateur a vécu, le savoir total est un fantasme, place à la spécialisation, aux disciplines, aux discours étanches, à la littérature intime, à l’expérience plurielle. Inutile de vouloir recoller les morceaux, la société est éclatée, le territoire fragmenté, les individus sont déjantés, les hommes et les femmes ne se causent plus, finie l’unité, adieu la solidarité, l’heure est à la flexibilité, à la différence, au chacun pour soi, au culte du moi. La connaissance s’éparpille, le savoir se disperse, la culture se dissémine, les réseaux se constituent. Chacun son site, et après moi le déluge. Il n’y a plus personne pour se recueillir sur le tombeau des intellectuels, l’histoire balbutie, les États se démembrent, la culture ethnique est de retour, le particularisme vaincra. Stop.
Il y a au moins en France un penseur qui étouffe, qui n’en peut plus, fulmine dans son coin, et refuse cet état de choses. Il s’appelle Christian Godin, Il a 51 ans. C’est un autodidacte. Enfin, pas tout à fait. En tout cas, un électron libre. Sans maître. Un solitaire qui écrit de temps en temps dans Marianne sur Kant, Schumpeter, Sartre. C’est un universitaire qui lit les journaux, enseigne la philosophie depuis peu à Clermont-Ferrand, vit à Saint-Maur, en banlieue parisienne, dans un modeste pavillon, à deux pas de chez ses parents. C’est un fou, une sorte de Victor Hugo de la philosophie, un peu paysan, un peu sorcier, une force qui va, qui a décidé un jour de se mesurer à son époque, de ne pas l’écouter, et de refuser son diktat, ses appels à l’émiettement, à l’éparpillement, à la singularité diffuse, au repliement, au renoncement. Il a décidé, tout seul, il y a vingt-cinq ans, d’écrire une encyclopédie philosophique, de « parler de tout », et de reconstituer toutes les figures possibles de la Totalité depuis l’aube des temps jusqu’à nos jours. Un travail total. Une vue d’ensemble. Dans l’espoir, comme disait Molière, d’avoir des « clartés de tout ». Je dis bien de tout: philosophie, politique, art, littérature, sciences, histoire, religion, mythologies, et. Tout sur tout, y compris sur ceux qui cherchent à ruiner par leurs anathèmes ou réfutations savantes l’idée même de totalité, de savoir absolu, ou d’unité possible entre le cosmos, la société, et l’existence individuelle. Et Dieu sait s’ils sont nombreux, les philosophes, ou les scientifiques (surtout des logiciens) de la totalité refusée, de la totalité vaine et impossible: Pascal, Bertrand Russell, Jacques Lacan, Louis Althusser, Jacques Derrida, etc. Et puis, on ne le sait que trop, la Totalité, comme horizon de pensée, comme désir de compréhension, comme possibilité de réconcilier le concept et le réel, a mauvaise presse, Confondue qu’elle est avec « le totalitarisme », écrasée par la puissance de frappe de tous les anti-hégéliens, anéantie par la psychanalyse, le nietzschéisme français, le courant déconstructionniste, l’antiuniversalisme dominant, elle semblait s’être retirée à jamais, depuis Sartre, dans les couloirs de la mort. Or voilà qu’elle refait surface en huit volumes (3 000 pages!), et que, sans lever le doute sur tous les soupçons qui pesaient sur elle, elle parvient à se rendre utile, nécessaire même, en ces temps de célébration de la différence et de tranquille pluralisme.
Christian Godin est un reconstructeur. Un refondateur. Mais il ne s’enferme pas dans les principes. Il les multiplie. Il traque la multiplicité derrière l’apparente unité de la pensée, il s’accroche à son sujet comme un forcené, et, avant de se lancer, s’explique dans un long prologue. Pourquoi tant de haine contre la totalité, pourquoi tant de méfiance, se demande-t-il? Bien sûr, la totalité de la connaissance est un leurre, et nul homme ne parviendra jamais à connaître tout, mais il n’est pas possible de s’en passer. Même ceux qui la contestent savent la totalité de la connaissance impossible, reconnaissent la nécessité de cet impossible. L’art de Picasso n’est-il pas une totalité réalisée? La connaissance ne s’inscrit-elle pas sur fond d’unité? « Il est difficile de prétendre que, par principe, notre esprit éprouve spontanément qu’il est fait pour l’unité […], mais il est tout aussi difficile de penser que le désir d’intelligibilité pourrait se passer de l’idée du Un », remarque le physicien Etienne Klein (1). Qu’est-ce qui rapproche une étoile, un nuage, un flocon de neige? Rien, en apparence. Et pourtant, « quand bien même la multiplicité du monde serait irréductible, l’unité a incontestablement à voir avec la façon dont nos idées se polarisent et se structurent ». Que serait l’unité du genre humain sans cela? Que serait la longue histoire des hommes? Il n’est pas vrai que tous les discours sont incommensurables les uns par rapport aux autres et qu’il faille rejeter d’emblée l’idée de système, adopter le point de vue de la partie contre le tout.
Une parcelle de terre ne sera jamais la totalité de la parcelle, il faudrait pour cela étudier la totalité du tout. « Contre la totalité, on a fait feu de tout bois et flèche sur tout », s’indigne Godin. Contre la totalité on a invoqué tous les désordres: « Ceux de l’univers physique (l’indétermination quantique), ceux de l’histoire (Auschwitz), ceux de l’être humain (l’inconscient). » Dans un livre paru en 1984, le philosophe Jean-François Lyotard date du milieu du XXe siècle la fin de « l’unité totalisante », de « l’universalité » qui désormais, selon lui, fait défaut à la pensée. L’essayiste Pascal Bruckner renchérit en 1994. « Il faut renoncer, écrit-il, au rêve de l’homme universel que caressait la Renaissance » (2).Tout se passe comme si on avait voulu substituer au déterminisme l’indéterminisme, au sens de l’histoire, l’aléatoire et le chaos. A quelles fins? Et pourquoi tant de manichéisme? Le capitalisme sauvage en Russie vaut-il mieux que le communisme? Il a fallu convaincre l’opinion que l’histoire marquait une pause, et que, après les totalitarismes, il ne pouvait y avoir de place que pour la douce discontinuité du temps qui passe, que le bonheur démocratique était enfin arrivé. Le charme discret de la marchandise se devait d’effacer le tragique de l’histoire et démasquer les profondes inégalités qui se creusaient entre les affamés, les réfugiés, les victimes, et nous. Il fallait non seulement renoncer à la « maîtrise » de notre destin, mais aussi à sa compréhension, et saluer ce nouveau désordre comme une libération par rapport aux errements du siècle que la raison avait pourtant réussi à stopper.
Il est étrange de se repasser le film à l’envers. Que de chemin parcouru.
Au prétexte que le vieil Hegel avait dit que « le vrai est tout », d’aucuns se sont persuadés qu’il était impossible de combiner à la fois la raison et l’expérience vécue, qu’il était inutile de chercher à comprendre le développement de l’expérience historique (3). Haro sur la dialectique. Ce qui fédère la pensée contemporaine, selon Godin, par-delà sa variété et ses oppositions, c’est son constant « refoulement de Hegel ». Hegel est l’homme à abattre, l’ennemi numéro un de ceux que l’on a appelés « les nouveaux philosophes » (André Glucksmann surtout). Plus jamais ça. Il ne faut pas s’étonner aujourd’hui que Napoléon passionne les lecteurs. La France est sortie de l’histoire. Mais il y eut pire. Plus sournois encore que cet acharnement contre Hegel, il y eut la haine de la Raison. Au prétexte que Adorno, le principal représentant de l’école de Francfort, avait dit en 1944, « le tout est le non-vrai », « la raison est totalitaire », on se persuada qu’elle l’était. « Sur les camps de la mort, la raison planait comme une immense chauve-souris. Le savoir absolu partait en fumée », écrit Godin. Désormais, tout ce qui englobe exclut. On convoque la mémoire des camps pour mieux se retrancher du présent. On se méfie de la cohésion. On préfère la dispersion. On rend la Révolution française et Rousseau responsables du Goulag. Que désire-t-on? Que l’homme s’absente de l’histoire pour mieux contempler son cours, qu’il ne soit plus convoqué à servir, mais seulement à se soumettre aux puissances hégémoniques qui le dépassent. C’est ainsi que, sous les décombres de la Raison, et dans les marges de la société, émergea, sous le nom d’exclusion, de sans-abri, de sans-domicile fixe, de réfugiés sans-patrie, tout ce que ladite raison avait laissé choir. Le siècle s’achevait dans la débâcle. La politique pouvait renaître à Porto Alegre.
Ce contresens sur le totalitarisme est une des origines du livre de Christian Godin. Ce n’est pas un hasard si le philosophe Enzo Traverso écrit dans la présentation de son récent recueil consacré au totalitarisme que celui-ci est un concept abstrait, tandis que la réalité historique est une « totalité concrète », mouvante et plurielle (4). C’est justement ce que veut dire Godin lorsqu’il parle de la totalisation historique et oppose le totalitarisme (totalisation intensive) à la mondialisation (totalisation extensive). L’histoire est processus. Le cauchemar avorté du totalitarisme fut, selon Godin, beaucoup plus une soif aveugle d’absolu que de totalité. La pratique totalitaire est épuratrice. Elle est un pur déni de l’universel. Tandis que la mondialisation (heureuse ou malheureuse, c’est une autre affaire) réintroduit un sens de l’histoire que l’on croyait perdu, le totalitarisme est exclusiviste et irrationnel. « Méfions-nous du piège mortel de la cohérence », disait Mussolini. Méfiez-vous de la métaphysique, dira Heidegger, des pensées englobantes, des systèmes qui font mine d’oublier le mystère de l’Être et l’indicible éclair de nos pensées. Le mépris de la métaphysique chez Heidegger et son soutien au national-socialisme vont de pair.
Godin reprend donc le programme à l’envers et se demande pourquoi, de Levinas à Lacan en passant par Heidegger et bien d’autres (Sartre étant une exception), l’ennemi commun est la totalité. « La totalité commence dans l’injustice », disait Levinas. Toute son éthique de l’Autre est fondée sur cette idée. « Le visage arrête la totalisation. » Ces formules se résument en une phrase: la totalité, c’est la guerre. Les relations entre humains sont non synthétisables. L’Autre me précède. Il y a un côté Lego dans la philosophie et les sciences humaines que l’auteur assume. Il décortique les systèmes, pour mieux les reconstruire. Ses allusions à la psychanalyse sont fréquentes. Le brave petit sujet de Lacan est aussi à sa manière une machine de guerre contre la maîtrise et la totalité. Contre l’humanisme hégélien. Cela est évident. Il suffit de lire le Séminaire II sur « le Moi » (5). En Poche désormais. Un beau livre, où la ligne de démarcation entre la philosophie et la psychanalyse est clairement exposée. Partout où on se promène dans l’océan du savoir, on rencontre la totalité.
C’est pourquoi Christian Godin la décrit sous toutes ses formes, tous ses usages, toutes ses variations possibles. Il recense les nombreuses expressions du désir de totalité (« Je suis oiseau, voyez mes ailes – Je suis souris, vivent les rats », disait La Fontaine), fait une analyse minutieuse des catégories de la totalité (l’être, le ciel, la terre, l’infini, le tout, etc.). Il explore toutes les combinaisons possibles. Il résume vingt-cinq siècles de philosophie dans le volume III qui vient de paraître (6). Comment ne pas être séduit par un tel travail? Toutes les civilisations sont convoquées. Les écoles brahmanistes côtoient les grands maîtres de l’Occident. Les ennemis du tout voisinent avec les acharnés du globalisme. Un chapitre sur Sartre éclaire admirablement le thème de la totalisation infinie. « Sur le fond obscur de la Totalité surgit l’existence humaine », disait-il. Godin fait surgir avec des mots simples et choisis le mouvement de la réalité humaine tel que Sartre l’appréhendait dans son Flaubert. Il fait revivre les grands systèmes sans jamais ennuyer. Du coup, ce que l’on croyait obscur, allusif, confus, devient limpide. Le moindre fragment de Pascal s’illumine sous sa plume. Entre le monde qui ne connaît que le « plus ou moins » et l’univers qui obéit à la loi du « tout ou rien », surgit à son tour le génie pascalien dans l’ombre portée de la figure divine.
Dans un autre volume à paraître, Godin commente le travail des scientifiques, il compare les sciences entre elles, s’interroge sur l’unité de leurs concepts et théories. Les sciences de la réalité physique, les sciences du vivant, les mathématiques, font l’objet de synthèses époustouflantes. François Dagognet, dans sa préface, parle d’une moisson sans pareille, de travail herculéen. Rien ne manque. « Nous sommes en présence, écrit-il, d’un ensemble torrentiel, qui donne au philosophe-lecteur la joie, celle que procure un tout, débordant mais contrôlé. » Merleau-Ponty disait qu' »il n’y a pas de philosophie qui contienne toutes les philosophies, la philosophie tout entière est, à certains moments, en chacune ». La singularité de celle de Godin ne tient pas simplement au gigantisme de son entreprise. Bergson disait déjà que la philosophie « ne peut être qu’un effort pour se fondre à nouveau dans le tout ». Godin ne se fond pas, ni ne se confond avec le tout, il ne fait pas qu’examiner l’esprit de la totalité, il le réalise à lui tout seul. Comme Picasso réalisait tous les Arts. Et de cette folie, car c’en est une, il espère redresser le monde: « C’est en ce sens, écrit-il en conclusion du récent volume, que la philosophie peut retrouver son ancienne destination – car, si la science et l’histoire n’ont plus besoin d’elle pour se faire, du moins ont-elles encore besoin d’elle pour se comprendre. » Qui dit mieux?
Ph. P.
(1) L’Unité de la physique, d’Etienne Klein, P.U.F., 333 p., 149 F.
(2) Le Vertige de Babel, Arléa, 1994.
(3) Hegel, de Raymond Plant, Points-Seuil.
(4) Le Totalitarisme, d’Enzo Traverso, Points-Seuil.
(5) Séminaire Il, « Le Moi », Points-Seuil.
(6) La Totalité III, La Philosophie, Champ Vallon, 980p., 290 F. Sont déjà parus le Prologue et les tomes I, II, IV.
Roger-Pol Droit, dans Le Monde, le 27 avril 2001
La chronique de Roger-Pol Droit
LA FAIM DE TOUT
Que veulent les philosophes? Savoir tout. Mais en quel sens? Et comment y parvenir? D’ailleurs, est-ce faisable? En outre, dans cette aventure, doit-on oublier la politique?
LA TOTALITÉ
Volume III
La philosophie
de Christian Godin.
I1 existe une forme d’appétit propre aux philosophes. Ce n’est pas celui des gourmands, quoique bon nombre d’amis de la sagesse ne furent pas de mauvais convives. Ce n’est pas non plus celui des érotomanes, même si, heureusement, quantité de chercheurs de savoir furent libertins et fiers de l’être. L’appétit spécifique des philosophes – leur nom l’indique –, c’est le désir de savoir. Ils partagent cette caractéristique avec les scientifiques, et d’ailleurs avec les détectives, les policiers, les magistrats, toutes sortes d’autres spécimens humains. Il faut donc préciser en quoi leur appétit de savoir se distingue. La réponse est bien connue: ce savoir est sans limites, sans objet prédéterminé, destiné à tout englober. Un enquêteur cherchera seulement à connaître le vrai coupable dans une liste définie de suspects, pour une affaire déterminée. Un biologiste tentera pour sa part de savoir quel enzyme déclenche telle ou telle disposition dans les cellules du cerveau. Et ainsi de suite. Chaque chercheur travaille dans un champ de questions délimité, traque la réponse vraie à une question circonscrite. Ce peut être aussi le cas, évidemment, pour des philosophes. Mais ils ne s’enferment jamais dans un problème unique. Pour que s’arrête leur trajectoire, il ne suffit pas d’une vérité acquise. Ces gens-là veulent savoir tout. D’une manière insatiable, impossible, démesurée, en un sens irrépressible.
Encore faut-il se souvenir que « tout » se dit en plusieurs sens. C’est pourquoi, depuis qu’il y a des philosophes, deux manières de « savoir tout » les opposent, et peuvent presque permettre de les classer, fort grossièrement. Les uns vont parcourir les champs très divers des connaissances. « Savoir tout » signifie pour eux voyager constamment dans le cercle sans fin de l’encyclopédie, des mathématiques à la géographie, des moeurs et coutumes à la chimie, des temples aux ateliers, des lieux policés aux contrées barbares. Au risque de s’y perdre, de n’en jamais voir le terme, d’errer en juxtaposant à l’infini des bribes positives que rien ne rassemble véritablement. On connaît l’autre façon: elle creuse sur place au lieu de courir le monde. « Savoir tout » veut dire, cette fois, saisir le principe organisateur, la loi du monde, le cœur à partir duquel tout s’organise. Peu importe, en ce cas, collections d’exemples et curiosités disparates. Il faut s’enquérir de ce qui fait tenir la totalité, ce qui constitue, par exemple, le monde comme monde et non comme succession indéfinie de pièces et de morceaux.
Cette question est au centre du travail monumental de Christian Godin. Ce philosophe a en effet entrepris un périple dont il est peu d’exemples: rassembler et analyser tout ce qui s’est pensé à propos de la notion centrale de « totalité ». La tâche est d’autant plus intéressante que cette notion, après avoir habité et animé la démarche des philosophes durant presque toute leur histoire, depuis les physiciens d’Ionie jusqu’à Hegel au moins, paraît s’être estompée au point de ne plus figurer sur les cartes. Le très petit nombre d’études contemporaines qui lui ont été consacrées contraste avec son omniprésence d’autrefois. Pour parcourir cet océan, un vaste ouvrage est nécessaire. Celui de Christian Godin est aux dimensions de son sujet: pas moins de 7 000 à 8 000 pages réparties en six volumes, plus un prologue et un épilogue. En deux ans, un peu plus de la moitié est parue, et la publication devrait être achevée au cours de l’année 2002. Il convient évidemment de saluer le courage et l’endurance de l’auteur, sans oublier ceux de l’éditeur (pour tenir un tel pari, il n’y a pas foule, on s’en doute!).
Quant au lecteur, il sera heureusement surpris: cette « totalité » est fort habitable, on ne s’y ennuie guère, et l’ensemble de l’exposé est toujours accessible. Cette encyclopédie philosophique ressemble fort à un immense cours, truffé de références, d’exemples concrets, d’explications pédagogiques. Le volume III, consacré à la philosophie, est au centre du projet, après en avoir été le point de départ. En quelque mille pages, il passe en revue 37 périodes – ou écoles, ou cultures, ou auteurs – qui ont marqué l’histoire de l’idée de totalité en philosophie, avant de classer les principaux exemples selon qu’ils défendent l’idée d’une totalité en acte, qu’ils la déclarent impossible, qu’ils la refusent ou qu’ils la considèrent comme potentielle, toujours aux prises avec l’absolu ou bien avec l’histoire. Sans doute faudra-t-il du temps pour qu’on puisse prendre la mesure de ce qu’apporte l’ensemble de ces volumes et le gigantesque livre qu’ils constituent. Il est certain, en tout cas, qu’on n’a pas fini de parler de Christian Godin, ni de La Totalité.
Roger-Pol Droit