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Bernard | JANNIN

Première cigarette au coin de la rue dans les années 50, havanes gastronomiques de la maturité ou calumet de la méditation dans l’âge : fumer aura ponctué, influencé, parfois même déterminé l’existence du narrateur…

Alternant visites curieuses, gourmandes ou nostalgiques dans l’univers du tabac, et épisodes intimes tour à tour cocasses, sombres ou voluptueux selon plaisir ou dépendance, Ça sent le tabac est le tracé romanesque dans la cendre du temps qui passe d’une authentique vie en fumée.

Après un premier roman déjanté Une vraie boucherie (Prix Délice 2008), et puisqu’aujourd’hui on fait mourir le fumeur par surcroît en exil et d’ennui, voici une vraie fumerie ; l’auteur y change de genre, pas de ton.

Ça sent le tabac – Bernard Jannin 2010

Boucherie charcuterie Croquard à Monsac vers la fin des années 50, spécialités : pieds de cochon et littérature ! Richard, le boucher, s’active en sautillant derrière ses étalages, Mariette, la bouchère, écrit en secret un roman sous l’œil critique de Troubadour, son faux caniche nain. Le monde apparemment lisse et clos du petit commerce vénérable, du bourg de province dont on se distrait en allant assister à des réunions de catch à la sous-préfecture voisine et d’une époque aujourd’hui révolue, recèle pourtant quelques surprenantes échappées.

Bizarrerie morphologique par-ci, mort étrange d’un tueur à l’abattoir local par-là, bataille rangée de chipolatas avec la concurrence jalouse sur un marché… Le réel tranquille et minutieux bascule bientôt dans le tragique, le délire et l’effroi, mais comme naturellement. Jusqu’à ce que, avec le temps, la Maison Croquard dérive désespérément, éperdument, dans sa propre et définitive consommation.
Une fois poussée la porte de la Maison Croquard, le client/lecteur bascule du réel et des charmes cocasses de la province dans un imaginaire débridé et tranchant, dont le boucher, la bouchère et l’entourage, en rêve ou en réalité, deviennent la chair même des meilleurs morceaux ! On pourrait presque parler d’une sorte de « delicatessen littéraire ». Un roman succuleusement noir et drôle !

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PAGE DES LIBRAIRES
(Septembre 2008)
Symphonie en lard majeur

Bernard Jannin est un amoureux des mots, du gras double et de la viande. Il livre un premier roman tellement original qu’il mériterait un titre de meilleur ouvrier de France, rayon boucherie!

par Jean-François Delapré, Librairie Saint-Christophe, Lesneven.
Entretien réalisé lors de la réunion PAGE Rentrée littéraire, le 9 juin à la Bibliothèque nationale de France. Propos recueillis par Patrick de Sinety

PAGE: L’intrigue se situe en Corrèze dans les années 1950, et le morceau d’ouverture nous permet de faire connaissance avec la boucherie charcuterie Croquard à Monsac. Son patron, Richard oquard, appartient à une espèce de boucher aujourd’hui défunte, de même que l’univers dans lequel il évolue. Où êtes-vous allé chercher l’inspiration? Avez-vous puisé l’évocation de ce monde suranné dans votre enfance? Éprouvez-vous de la nostalgie pour cette époque?

Bernard Jannin: Il y a de la nostalgie, oui, en partie. Je suis également allé puiser dans des souvenirs de jeunesse, c’est vrai. Mais j’ai aussi emprunté à la réalité de certains endroits, j’ai fouillé dans les tréfonds de régions françaises où survivent de telles atmosphères, notamment la Corrèze ou l’Auvergne que je connais bien.

Qui est Richard Croquard?

Est-ce que je dévoile tout?

Non, on est à peu près d’accord, on ne va rien dire du livre, mais on peut au moins brosser son portrait. Et puis celui des autres membres de la famille.

Richard Croquard est un boucher charcutier qui dissimule un peu la partie charcuterie, parce qu’au sein de cette corporation, la arcuterie est moins noble, c’est en quelque sorte le premier échelon. En principe, un fils de boucher n’épouse pas une fille de charcutier, vous saisissez. Par ailleurs, Richard Croquard est affecté d’une difformité au niveau des pieds. Il a des pieds de cochon. Il se trouve que les pieds de cochon sont aussi sa spécialité: il prépare les pieds de cochon à la perfection! En dépit de cette particularité anatomique, il exerce son métier de boucher tout à fait sérieusement. Il est secondé dans cette tâche par sa femme, Mariette, qui se charge plutôt de la partie «traiteur». Mariette, elle aussi, a ses petits secrets, mais qui sont d’une rout autre nature que ceux de son mari, Madame Croquard écrit un roman qui porte pour titre, Capitaine Chantejail. C’est une histoire mélodramatique, dont une page seulement est reproduite dans le texte.

Mais quelle page! Il faut absolument la lire!

Par ailleurs, Manette raffole du catch. Elle ne pratique pas, bien sûr, mais elle a une passion pour ce sport et assiste aux matchs qui ont lieu dans une salle de la ville voisine, qui se trouve être la sous-préfecture du coin.

C’est aussi un boucher moderne, qui veut grandir, évoluer?

Richard Croquard possède de grandes idées pour développer son petit commerce. Il décide d’écumer les marchés de la région pour vendre ses produits. Sauf qu’il n’est pas tout seul. Il se heurte aux habitués, comme le volailler, le charcutier… Lui se pointe avec son étal de «boucher charcutier volailler tripier traiteur expert ès pied de cochon», et forcément ça coince!

Vous mettez en scène, dans un passage mémorable, une bataille entre les différents acteurs de la viande qui se partagent la clientèle du marché, où chacun s’envoie les produits de sa spécialité au visage. C’est très visuel, très drôle et complètement déjanté. Et on commence à s’inquiéter de sa santé mentale…

À ce moment-là de l’histoire, on commence à se dire que le père Croquard a, en plus de ses pieds bizarres, quelque chose qui ne va pas du tout.

D’autant que l’on prend alors concrètement conscience qu’il est réellement affublé de pieds de cochon, ce qui n’était jusque-là pas explicitement dit.

Il fallait ménager le suspense.

La trame, qui jusqu’alors restait dans les limites d’une relative normalité, bascule brusquement dans l’angoisse. Des disparitions plongent la région dans la peur.

La première disparition a lieu aux abattoirs. L’abatteur est abattu car il abattait de manière traditionnelle, au merlin, c’est-à-dire en levant bien haut une masse avant de l’abattre sur la bête. On assiste à la déchéance de cet assommeur – un artiste dans sa partie –, victime de la modernisation des méthodes d’abattage.

L’existence de Croquard, qui semblait d’abord relativement plaisante, dans laquelle on décelait même un certain charme se met, au fil de la progression de l’histoire, à devenir beaucoup moins drôle.

La fréquentation des marchés finit par l’épuiser. Il faut rester debout la plupart du temps, même s’il ne se déplace pas sans son pliant…

Et puis à force de courir les marchés, notre bon Croquard perd de son influence à la boutique. Mariette prend de l’assurance, Didier, le commis, s’émancipe également. Or tous ces petits bouleversements domestiques commencent à énerver sérieusement le boucher, et même à lui ravager la cervelle. Et, et, et… c’est là que l’on est bien embêté, impossible de révéler la fin…

Inconcevable!

Cependant, l’écriture, elle, ne change pas. La poésie et la drôlerie qui frappait dès les premières phrases enveloppe le texte jusqu’à la dernière page. D’un monde d’une confondante banalité, on passe à autre chose…

Mais on ne dira pas ce qu’est cette autre chose, on ne dira rien!

On dira simplement: lisez ce livre.

Toutefois, ce que je peux ajouter, c’est que j’avais à cœur de décrire la banalité du quotidien avec minutie tout en y injectant, au deuxième ou au troisième degré, une forte dose de poésie. Je voulais que le rationnel soit chevauché par l’irrationnel, et que la construction littéraire et poétique de ce chevauchement ait la faculté de désarçonner le lecteur.

Je me suis demandé si, en commençant le roman, vous saviez comment il se terminerait?

La seule donnée de base était que je ne pouvais laisser comme ça ce pauvre boucher charcutier aux pieds de cochon. La trame s’est donc déroulée à partir de cet élément originel. Je voulais que l’ensemble se structure comme une succession de mini romans, et que chaque chapitre (ou «morceau») soit en quelque sorte autonome par rapport au tout. Il y a sans doute des faits qui n’apparaissent qu’à la seconde lecture, ou dont on ne prend conscience qu’à la fin alors que des indices présents dès le début pouvaient éclairer le lecteur – je pense notamment à l’aberration anatomique du personnage, dont on n’a pas la preuve concrète d’emblée, mais que l’on peut deviner à la lumière de certains signes disséminés dans le texte: il laisse de curieuses traces dans la sciure dont le sol de la boutique est couvert – on fait ça par souci d’hygiène,vous savez; et puis il manque parfois de tomber parce que les pieds de cochon dans la sciure, ça glisse, c’est dangereux.

Quoi qu’il en soit, le texte est charrié de bout en bout par une formidable drôlerie poétique; et l’on arrive à cette fin dont o npersiste à ne rien dire.

Un libraire, vers les mois de mai et juin, est comme ces chercheurs d’or qui tamisent le fond des rivières. Nous lisons alors des monceaux d’épreuves en forme de tas de feuilles, reliées parfois par un élastique – quand tout va bien – et nous y cherchons notre pépite… Et c’est ce qui est arrivé avec le roman de Bernard Jannin. Dès les premiers mots, j’ai été frappé par cette écriture très inventive, poétique, drôle, et en même temps, par certains aspects, terrifiante. Je peux d’ores et déjà vous conseiller de vous laisser emporter par cette Vraie Boucherie, dont les premiers mots, les premières phrases, possèdent la faculté étrange et rare de vous happer. Ici, on ne parle pas de chapitres mais de morceaux: la boucherie a ses coutumes auxquelles il convient de ne pas déroger. Ici, vous allez découvrir Richard Croquard, boucher charcutier à Monsac, sa femme, son commerce et son oeuvre tout entière. Approchez, approchez, messieurs dames, car c’est maintenant que le spectacle commence!

PAGE – SEPTEMBRE 2008