Écrire dans le noir
L’extrait
(pp. 29-37)
Là où la nuit est noire
«Il n’y a pas une crise de la langue – car les mots s’arrangent toujours pour survivre; mais il y a une crise de l’amour de la langue.»
Roland Barthes.
«Si la situation des étoiles était illimitée, l’arrière-plan du ciel nous offrirait une luminosité uniforme, comme celle déployée par la Galaxie – puisqu’il n’y aurait absolument aucun point, dans tout cet arrière-plan, où n’existât une étoile. Donc, dans de telles conditions, la seule manière de rendre compte des vides que trouvent nos télescopes dans d’innombrables directions est de supposer cet arrière-plan invisible placé à une distance si prodigieuse qu’aucun rayon n’ait jamais pu parvenir jusqu’à nous.»
Edgar Poe (Euréka: a prose poem).
«Si l’on en croit Edgar Poe (et la science récente semble confirmer son hypothèse) dire pourquoi la nuit est noire passe par la prise en compte de la vitesse de la lumière et de l’âge des étoiles. Or, la vitesse de la lumière est finie, les étoiles ont un âge.
Il faut du temps pour que la lumière des étoiles nous parvienne.
Elles n’ont existé qu’à partir d’un certain moment de l’histoire de l’univers.
Leur lumière a donc parcouru une distance finie.
Nous ne voyons que la lumière issue des étoiles situées à une distance comprise entre nous et la distance limite de leur naissance. Elles ne sont donc pas en nombre infini, mais fini, peut-être même nombre petit.
La nuit est noire parce que la vitesse de la lumière est finie (calculable) et parce que les étoiles ont une “durée de vie” (elles naissent, elles meurent).
Regarder droit devant, là-bas, au loin, dans la nuit les étoiles, c’est se retourner.»
Le romancier.
Ce monde s’effondre un autre danse le savez-
vous langue vit conflit entre perception elle veut esprit
il nie entre une
cruauté elle déchire compassion elle relie
lui.
En cet espace que lézardent les doutes travaille l’écrivain.
Ou bien mot n’est pas chose et littérature se réduit à système particulier organisation des mots parmi tant d’autres. Autonome astronome d’étoiles il les invente en cette nuit que l’on voit noire – et pour quelle route se nourrit-il de lui-même? Il tout système invente ses limites
on les appelle étoiles dans la nuit encore noire
absence inattaquable le dehors court le risque d’être miné au dedans ses tendances au forclos.
Ou bien mot est chose une des fois président parfois aveugles aux destinées de l’écrivain lié au monde par cet amour irraisonné irrationnel. Écrire est ordonner ranger références à un monde qui il échappe et il fuit en extension. La nuit est toujours noire
là où l’ange combat pas d’autre loi qu’intuition longue patience excès
le creux d’autres fois.
Ne pas oublier toutes les postures elles vont de l’une aux autres postures. Peut-être troisième voie autre voie quatrième d’autres encore voies seraient de tourner voix le dos à postulations multiples multiplier
les variantes
devenir devenir noir
Et si langue n’était système seulementégalement ce qui accepte l’imprévisiblede son évolution si elle langue acceptehorizon elle ne le prédétermine pas? Nul
ne peut avant pré-déterminer les influences que telle ou telle langue subit reçoit dontelle s’enrichit. Système est visionbien pauvre rassurante normative restrictiveune là où (et pas ou bien) nue, littérature est l’imprévisible souci l’inquiète illimitée en extension toujoursunivers né. Pour tant pour quoi nuit noire.
Combat constant (agonie dit l’étymologie) entre une langue et une vie une conscience langagière et la mise en langue d’une
conscience comprendre un livre comprend comprendre ce que
l’on écrit n’est pas simplement lire décortiquer d’un œil analytique guetter l’idée au détour de la formevivre sa résistance matière épaisse. Savoir le délaisser le retrouver au détour d’un soir à la courbe d’un soir retrouver l’ombre née de la terre la nuit monte des arbres il semble que tout devient léger.
Il y a l’exil.
Cette langue est une vitre opaque une île noire
entre autrui et lui entre lui et lui entre elle il y a lui elle l’issue île vient de l’exil il langue créée. Au loin le monde.
Proche de moi elle met au monde.
N’est ni d’ici
ni de la langue on agonie durant
miroir noir miroir non réfléchi ni réfléchissant surface mate ne la traverse pas
le regard.
On le croit noir.
L’image ondit les mots font l’amour l’imageon dit
se moque de l’intime l’image on dit réclame l’image l’espace on dit un ciel troué d’étoiles l’image dit que la nuit se voitbien
et vaste autour. Il lui faut
des visions des chants gris murmurés. Les pensées par les mots parlent les motsseulement les mots.
Ce qu’on ditau poète à propos desdit-on fleurs.
On s’efforce dans la solitude la crainte au jeu du dire et du dit on déploie jeu de l’éclat et de l’obscur à leur contraire leur autre différant. On
risque l’image sa négation. On
ne s’en tient pas à
ça.
On appuie la main sur la mâchoire oninterrompt le flux le sang
on
relâche la pression et le sang rue on il tape contre l’os
il bat encore
dans cette pulsation ce rythme tambourin
onentend
encore la vie devant et le langage surface privée de fond ne rompt pas on
continue
puisque pulsation.
Amour? De quel nom appeler ce qui est consubstantiel, ce qui, tombant, tient debout?
De l’amour? (Je voudrais qu’on s’abandonne à la langue sonopacité).
Aime-t-on ce qui nie désespère ce qui lie sépare résiste ignore ignore résister?
Je rêveonrêve de quelque
superlatif absolu ce serait encore adjectifde trop adjectif
un excès. Il faut on doit (faut?)
revenir ce n’est pas une image.
Et c’est dans les mots qu’on existe dans les mots que tu passes dans les mots si hors d’atteinte toi confusion bras trop courts
regards retenus toi nue tenue dans
l’échec de ne toi
pouvoir ne serait-ce qu’un
peu un jour cerner les songes
et que sait-on du monde réalité cette chair on la désire on la posséder est on rêve flou ou fouonne sait pas
comment cerner (la cerner pas) ailleurs que
dans les mots elle se donne enfin on la vie référent les mots on l’invente on cette elle absente on
bouquet elle on le concevrait
réel non de ce bouquet-là elle résume à elle seule absente elle soit que elle présente en ce vocable il on la convoqueelle plus présente alors
elle plus réelle d’êtreon elle si belle absente maintenant que n’est plus elle il faut bien qu’elle soit
cela l’incarnation elle du rêve rêve du rêve elle d’un mot n’est pas la chose elle on suscite
d’un qui la suscitant elleon retrouvele poids d’elleon d’incarnation
l’avale trou noir.
On regarde la nuit, on voit, loin devant, entre les masses du noir, ce qui n’est pas n’est pas encore n’est plus déjà.
Avant est maintenant ici lumière quand plus là-bas passé résolument.
Plus besoin de se retourner pour voir ce qui fut. On regardeloin devant on voitle noir des étoiles éteintes des étoiles à naître
il y a si long temps
on estce noir que l’on voit.