Le paysage industriel n’est pas le fruit de la nécessité. L’État intervient dès 1806 pour protéger la capitale des nuisances – olfactives et visuelles – générées par l’artisanat et la toute nouvelle industrie. Généralisée à tout l’Empire en 1810, l’enquête préalable à toute nouvelle implantation, dite commodo et incommodo, est le premier manifeste du développement durable, entre l’économique, le social et le politique. Le décret du 15 octobre 1810 gère ainsi la géographie des manufactures parisiennes: les plus dangereuses sont chassées du centre et vont essarter les faubourgs, alors que les quartiers aisés et les communes résidentielles se protègent en refusant les nouvelles implantations, donnant ainsi naissance au paysage « typique » de la première couronne francilienne
Appliqué avec fermeté au début, surtout dans la capitale, le décret réduit notablement la pollution des fabriques en contenant les émanations, en élevant les cheminées et en enterrant les eaux usées. Puis, devant la volonté de faire de la France la première puissance industrielle d’Europe, il s’efface devant les grands établissements pour ne s’appliquer qu’aux petits métiers.
Dès la deuxième moitié du XIXe siècle, la croissance industrielle déborde les « fortifs » et se déploie sur la banlieue, surtout au nord-est et au sud-est. Celle-ci intègre les basses couches sociales rejetées par l’haussmannisation vers les usines délétères. Dans les banlieues toujours plus ouvrières, plus sombres, la pollution échappe au contrôle de l’administration. Les bidonvilles s’étalent dans les creux du tissu industriel. L’espace est saturé, le paroxysme atteint dans l’entre-deux-guerres. Le paysage séculaire ne se transforme qu’à partir des années 60, grâce à la politique de décentralisation et de déconcentration industrielle.
Spécialiste de l’environnement urbain, André Guillerme est professeur d’histoire des techniques au Conservatoire national des arts et métiers (Cnam). Gérard Jigaudon et Anne-Cécile Lefort sont chercheurs au Centre d’Histoire des Techniques (CDHT), laboratoire associé au Canm et à l’EHESS.
Voir le sommaire
Dangereux, insalubres et incommodes:
paysages industriels en banlieue parisienne (XIXe-XXe siècles)
Le sommaire
Introduction
Première partie
Haha, Pressions et impressions manufacturiÈres à Paris
(1800-1820)
1. Les paysages de l’État
Les paysages scientifiques
Géométrie descriptive
Cartographie
Le paysage médical
Le paysage guerrier
Reconnaissance militaire
Poliorcétique
Statistiques
2. Genèse d’une politique industrielle
(1800-1810)
Artisanat, industrie : des catégories politiques
Les arts inutiles
La technique
Chaptal
La chimie sanitaire
La première politique industrielle
Topographie industrielle
Utopie manufacturière
La science, moteur révolutionnaire de l’industrie
L’industrialisation
L’élan entrepreneurial
La promotion de l’industrie
Les chambres de commerce
La Société d’encouragement pour l’industrie nationale
Les Annales des arts et manufactures
L’appel aux savants
Le tableau académique des arts
Dichotomie de la production urbaine
Le conseil de salubrité
1806-1807 : l’expérimentation capitale
Le paysage manufacturier séquanais
Un bilan très positif
Les recommandations paysagères
L’utilité publique
La vigilance
L’aménagement public
3. Continuum politique:
décret de 1810 et ordonnance de 1815
La nouvelle gestion de l’espace public
Le Service des Ponts et Chaussées
Gérer les nuisances urbaines
Le second rapport de l’Institut du 30 octobre 1809
À quelle distance ?
Le décret du 15 octobre 1810
Le dessein du conseil de salubrité
La nouvelle topographie des fabriques
La province rebelle
La réaction des industriels
L’ordonnance royale du 14 janvier 1815
Les nouvelles contraintes
Ceux qui violent la loi
Les paysages des grands établissements
Stratégie industrielle : le modèle Chaptal
Tactique industrielle : l’exemple de Payen
Maires et riverains
L’industrie prise à parti par l’urbanisation
Les espaces manufacturiers
Saint-Denis
Clichy
Ivry
Choisy
Les extrêmes figures du paysage manufacturier
Les cheminées : paysage aérien
Le paysage intestin : l’évacuation des eaux résiduaires
La protection des sites
Conclusion: une politique de déménagement
Deuxième partie
Essor industriel en périphérie
(1820-1920)
1. La liberté rendue à l’industrie
(1820-1840)
La gouvernance libérale
La nouvelle technologie
La clémence envers l’industrie
L’expertise
L’éloge de l’industrie
Les nouveaux paysages
La réforme de l’expertise
Les grands établissements
Des bâtiments consacrés à l’industrie
La salubrité artisanale
Hygiène et salubrité publiques
Voiries et eaux stagnantes
L’imperméabilisation
2. Le contexte administratif, politique
et réglementaire
Paris et le département de la Seine
Formation du département
Un pouvoir municipal confisqué et sous tutelle
Des Conseils d’arrondissement impuissants
Un Conseil général plus parisien que départemental
Deux préfets pour un département
Les sous-préfets
Les maires
La gouvernance manufacturière
La police manufacturière
L’hygiène publique
L’inspection des établlissements classés
Évolution de la législation des établissements classés
Le dossier de demande en autorisation
La nomenclature
Les tracasseries du décret
Le projet Chautemps
La loi du 19 décembre 1917
Les lois de 1932
La justice industrielle
Police et justice
Le maire
La justice
Les instances
3. Quels paysages ?
De la statistique industrielle à la géographie des odeurs
L’œil du préfet
Gangrène gazeuse
Le paysage des odeurs
Les odeurs de Paris
1880
1896
1911
1927-1928
Nouvelle pollution
La banlieue incommodée par Paris
Saint-Ouen
L’autorité préfectorale
Les boues de Paris
Les ordures ménagères
La TIRU
L’identité banlieusarde
Troisième partie
Usure de la banlieue
(1920-1950)
1. L’édile à l’écoute du cœur
Les commissions d’hygiène
Les commissions d’hygiène d’arrondissement
Statistiques hygiénistes
Les règles d’hygiène et de salubrité
L’état pitoyable de la banlieue
L’indifférence préfectorale
Les techniciens de l’inspection des établissements classés
Les enquêtes
Les politiques
Le conseil d’arrondissement
Le Conseil général de la Seine
2. La rurbanisation industrielle
L’agglomération
La résistance municipale
L’état des lieux
La voirie
Eaux mourantes et eaux mortes
Contenir le développement de l’insalubrité
3. Empreintes de l’industrialisation
sur les territoires
Architectures manufacturières dionysiaques
Saint-Ouen 3
Conclusion
abréviations
bibliographie
table des figures
index