Daniel Fleury aimait citer ces phrases de Kafka : « je ne suis rien d’autre que littérature ». « Tout ce qui ne concerne pas la littérature, je le hais ». Or, la littérature, idole faillible, ne manque pas de tromper son dévot d’une manière incompréhensible avec le tout-venant de ses adorateurs : il en ressent de l’amertume. Quant à son « église », il la juge, à bon droit, plutôt désespérante : ses prêtres (les éditeurs), ses théologiens (les théoriciens, les critiques), ses fidèles (les lecteurs, les amis même), n’ont de cesse de vous faire diversement sentir que vous êtes inexistant.
En 2015, ce sentiment de déréliction fut assez fort pour que l’écrivain cherche à en rendre compte par des Carnets. Ce ne sera pas sans force péripéties, sans un retournement heureux de situation (la parution en 2019, chez Champ Vallon, de La poursuite en péniche du lac migrateur) ni sans un affrontement sans fin avec un autre malin génie littéraire : l’alcool. Cependant, le pli une fois pris de cette expérience intérieure tardive, Daniel Fleury s’y tint, essayant des diverses manières de la pratiquer (réflexive, polémique, anecdotique, lapidaire, cocasse) en artiste impénitent. Et cela simultanément à l’écriture d’un dernier roman (Zoltan Zékator et Joseph Staline mangent des artichauts, Champ Vallon, 2024). Il n’attendit même pas que cette œuvre connaisse ce qu’il appelait « une existence typographique » pour aller reposer, on l’espère enfin en paix, dans le sein de sa divinité jalouse.
Daniel Fleury a publié chez Champ Vallon La Poursuite en péniche du lac migrateur (2019) et Zoltan Zékator et Joseph Staline mangent des artichauts (2024).