« Au rythme de la marche la surprise survient, l’inattendu sollicite l’esprit, cela par le soudain écart entre la présence et la perception : c’est l’alerte de l’ouïe, de l’œil ; l’attention à tel bruit de la nature. Un oiseau chante : quel est-il ? que dit-il ? Traduire en notre idiome la langue des oiseaux, le langage des fleurs, le texte de l’araignée.
Ainsi rejoindre le mythe, renouer : non pas expliquer, mais déplier en même temps que pli sur pli se constitue cet objet sonore, le sonnet.» R.M.
Le Temps ordinaire couvre les années 1999 et 2000. Au jour le jour, chemin faisant, le poète assemble les mots en phrases qui sonnent, d’où peut-être le nom de sonnets. Les poèmes sont ainsi les fruits de l’inattendu…
Revue de presse
Le Magazine littéraire
(Janvier 2010)
«JOURNAL EN SONNETS D’UN ALCHIMISTE»
Né en 1925 en Poitou, naturalisé canadien après de longues années passées dans ce pays, Robert Marteau est aujourd’hui à la tête d’une oeuvre considérable, essentiellement poétique, qui comprend aussi quatre romans, des livres de critique d’art et des volumes de journal intime. Depuis Fragments de la France (éd. Champ Vallon, 1990), dont le titre souleva quelques sottes polémiques (tant il semblait alors inadmissible qu’un poète osât se dire amoureux de la France), et surtout depuis Liturgie (éd. Champ Vallon, 1992), Robert Marteau, de retour chez nous depuis 1984, poursuit un vaste « journal en sonnets » nourri de promenades, de lectures, de prières, de peinture, de musique aussi. Composés en vers de douze syllabes dont le rythme ne se plie que rarement à la césure du vieil alexandrin, ces « sonnets» sont sans rimes, de sorte qu’un puriste serait tenté de parler plutôt de strophes de quatorze vers; mais la loi ancienne du sonnet — un jeu d’antithèses qui s’achève sur une « pointe» — est bien présente dans ces strophes puissantes (plus de 500 composées sur deux ans, toutes datées) où le sentiment païen de la nature se nourrit des mythes éternels sans renier l’héritage chrétien. Féru d’alchimie, Marteau croit à la vertu du Nombre et au pouvoir des grandes figures de l’imaginaire. Il conçoit son poème comme une liturgie quotidienne, un hommage rendu à l’infini du monde où il s’agit d’admirer, de célébrer, et de « s’exercer en chantant à mourir» (14 septembre 2000). Sa poésie nourrie de traditions symboliques dont la source remonte à l’Egypte antique demande attention, recueillement, écoute: elle ignore toute petitesse, toute mesquinerie; elle est une belle lueur confiante dans nos ténèbres, la parole vive d’un veilleur fidèle aux valeurs de l’Esprit.
Jean-Yves MASSON
La Quinzaine littéraire
(Février 2010)
Explorateur de la nature ou chantre de la tradition
C’est sous la belle appellation d’explorateur de la nature que Robert Marteau avait fait son entrée en poésie. Un bref chant visionnaire, Royaumes (1962), explorait la terre natale et ses marches, «Lozère», «Charente», sous la conduite d’«Apollon berger», pâtre des éléments, des temps et des continents. L’établissement au Québec, en 1972, avait approfondi cette veine avec Atlante (Montréal, 1976), dont un fragment avait paru dans Les Lettres Nouvelles, puis avec Fleuve sans fin, sous-titré Journal du Saint-Laurent (Gallimard, 1986).
Sans rien perdre de sa liberté, le diariste y adoptait la forme de la prose pour chanter le Nouveau Monde et les eaux du fleuve dont il parcourait les rives, les accordant à l’infini des grandes civilisations, «Chine du ciel, […] Japon de miroirs, […] Nil où médite l’ibis sacré». L’attention allait par élection aux éléments, l’eau, le roc, aux plantes, aux animaux, dans toute leur variété, aquatique et ornithologique. La nature offrait au poète un miroir où se portraiturer.
Cette veine du journal, Robert Marteau, grand arpenteur des campagnes, de longue date revenu en France, la poursuit avec ces Temps ordinaires qui en constitue la dernière facette. Fragments de la France (1990) avait inauguré la série, suivi de Liturgie (1992) et, sept ans plus tard, du doublé Registre et Rites et Offrandes (tous recueils chez Champ Vallon). La poésie de Robert Marteau va un chemin singulier, instruite par l’amour que l’amateur, qui refuse le regard du critique, porte dans ses essais à Vermeer, Cézanne ou Monet, voire par l’accompagnement qu’il donne à son amie Raymonde Godin, artiste franco-québécoise qui travaille en Drôme provençale, dont il a préfacé des catalogues et avec laquelle il a signé des livres d’artistes. Il est sensible chez elle à la recherche formelle d’une oeuvre ouverte à la voix des lointains, où les immensités américaines, le graphisme de la Chine ou du Japon creusent l’approche du Midi méditerranéen.
Le présent recueil, sous-titré Liturgie V, journal des années 1999 et 2000, est rythmé par les jours et les saisons, les cycles de la nature. Mais l’observation immédiate, qui faisait le prix des meilleurs poèmes, interprètes du langage des éléments, des fleurs et des oiseaux, le cède à une sagesse, qui, au contraire des premières tentatives, ne se retient plus d’enseigner. La réponse, donnée avant même qu’on ne la cherche, s’habille-t-elle encore vraiment du vêtement de la tradition? Edifice auquel toutes les mythologies apporteraient leur pierre, d’Isis à Aphrodite, du Graal à la figure de la salamandre, le «château» que célèbrent tant de poèmes, qu’il soit celui de l’âme ou de la Révélation, est une figure de la foi, si ce n’est, plus durement encore, des dogmes chrétiens touchant à la Rédemption et à la virginité de Marie immaculée.
Déconcerté par la fixation sur une sagesse intemporelle dans laquelle se résoudraient les déchirures et les élans de notre condition mortelle, l’amateur de poésie peine à souscrire au congé donné à la tentative des contemporains, sévèrement égratignés comme «voulant le Verbe, voués au verbiage». L’alchimie selon Robert Marteau, on le sait à tout le moins depuis Ce qui vient (Montréal, 1976), n’a rien de commun avec celle de Rimbaud, «misérable alchimiste de vingt ans». Elle rompt tout aussi bien avec la transmutation du quotidien et de ses misères que Baudelaire élève à la beauté («tu m’as donné ta boue et j’en ai fait de l’or»). Elle s’attache au savoir secret d’Hermès Trismégiste. Le lecteur toutefois est-il prêt à préférer la voix du grillon, des humbles et de la croix jadis chantée par Marceline DesbordesValmore, poétesse romantique à laquelle le présent livre fait souvent penser, à la lucidité de nos contemporains ? Une allusion congédie Ralentir travaux de Breton. Char et Eluard (p. 222), un mot liquide l’athéisme comme «obsolète» (p. 128). Comment s’abandonner à la liturgie du temps ordinaire, si celle-ci sacrifie une part de notre dignité, rompt avec l’énergie qui nous dresse à vivre?
Il n’est pas jusqu’à la forme du sonnet qui ne creuse le malaise, introduisant, suprême paradoxe, un facteur d’artifice et de monotonie. Il ne suffit pas en effet d’abandonner la forme strophique des quatrains et des tercets et le savant jeu des rimes, et de réduire le sonnet au simple moule de ses quatorze vers, pour en garder l’essentiel. D’un usage trop systématique, l’alexandrin l’appauvrit, lorsque de plus audacieux et plus parcimonieux aussi le portent à un incomparable éclat. Robert Marteau va son chemin en solitaire. Fallait-il toutefois que cette solitude, en soi légitime, s’accompagnât d’une déclaration de guerre implicite à ses contemporains et compagnons de route? Le pari accomplit sans doute vieux rêve, caressé depuis plusieurs décennies: «Un jour, si Dieu me prête assez longue vie pour transmuter mes désirs, je déploierai le phylactère de la Dame à la Licorne et je vous lirai le message.» Toutefois, à s’effacer derrière le chantre de la tradition, l’explorateur de la nature engage un pari qu’on peut craindre risqué.
Stéphane MICHAUD