« ON FAIT SON IMPORTANT! On se pavane ! On se targue de savoirs et de délicatesses ! Comme on est bien élevé ! On savoure de l’oreille, on affine ses papilles… on jouit — certes avec discrétion… on parade — non sans quelque retenue. On est, au plus au point, civilisé.
Voici des pages pour en rabattre. Du nu. Du gauche. Du malbâti.
Cependant : point d’autoflagellation. Celui qui parle se contente de faire un tour de nos insuffisances, de nos chancèlements : bien assez, déjà ! Sans complaisance. Simple relevé des lieux, à quoi se mêle un peu de compassion, parfois de nostalgie, voire d’emphase pour notre inhabilité fatale.
Comprenne qui pourra : nul n’est fâché de fréquenter au fond de lui cet illettré, ce dur d’oreille, ce contrefait avec lequel il est prié sans cesse de composer. Mieux : il se pourrait que cet accouplement d’idiots intimes fût la promesse de tout ce que nous appelons poésie. Comprenne qui pourra… »
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poèmes
Un extrait
Époque de gel, de simple
C’est une époque de gel, de simple
D’hommes lointains et désertés dans leur mangeaille
Buté vieux bonze
Vieux Lustucru
Le temps, la nuit te tirent toi aussi par l’estomac
Comme eux tu fais ta soupe, eaux bouillonnantes, racines
Et par les yeux du gras, tu vois, tu te vois
Tout épluchage, tout raclement
Tarabuster la couvaison
De ton bruit de termite
Buvant, broutant, tu ingurgites
Tout autour le brouillis monde s’égalise et se reclôt
Solitaire chabrot solitaire ta solitude!
Le démon ventre-creux te laissera encore en paix ce soir
Puis les persiennes métalliques claquent dans le noir –
Est-il parmi les ruines une mémoire capable de stopper cette artillerie?
Parmi les tristes semblables toits
Une religion pour entendre ce cri, cette piteuse résumation de l’âge de fer?
Salut à l’Illettré
Salut à l’Illettré
De dos contre sa nuit
Salut aux buissons noirs, aux chevilles, aux chimères!
Dans un petit matin d’avril qui tient encore serré contre les pierres son roucoulement
Tu écoutes sans comprendre
Ne sachant lire un mot
Depuis qu’on t’a coupé des océans
Cependant Femme la seule, debout déjà,
Glapit contre les dernières ombres – elle n’a qu’un œil –
Tu fuis
La paix! La paix!
À l’instant justement qu’avec les freux lancés en mottes sur le ciel clair
Tu rêvais à
Là-bas-les-vagues
Là-bas-le-vent
Et tout cet impossible à écrire autrement que deux pieds dans le rétréci
où tu pioches
Pitié de vie! Six heures! Croassement!
Elle te cherche assidue
Les feuilles du poirier sont assez larges pour te cacher
Pense à d’autres qui sont restés
Ont pris racine, coutumés des femmes de là-bas, noires par dedans les mots que non plus elles ne savaient écrire
Mais noires vives
C’est aux volubilis maintenant que tu parles
Et de phrases qui foisonnent comme tu peux,
Semis, semences, lève la tête, regarde,
L’horizon, ça radote
Dos au soleil, maintenant
Tu feras du journal un couvre-chef en forme de trois-mâts
C’est l’heure du premier rouge – celle aussi du dernier –
Revenir au poirier, y rôder (les feuilles verdelettes)
Un arrosoir (vide), une corde à la main
À peine titubant cette fois
À peine balançant
Bientôt fixé, un peu raidi, menton cloué dans la poitrine, tête penchée
Environnée d’encre, de mots et de soleil comme un rucher
Corde en cravate
Les pieds ballants
Salut à l’Illettré!