« À reprendre la première phrase de ce journal, en date de 1986, je ne perçois guère de changements en moi-même. Une plus grande simplicité peut-être (mais tout changement doit-il nécessairement relever du progrès » ? n’est-ce pas là une vaine consolation imaginaire, pour se féliciter d’avoir vieilli ? et la vie commune à présent avec une femme, qui m’épargne l’ancienne hystérie du désir – encore que. Davantage de bonheur, et surtout plus de capacité à s’extraire des ennuis quotidiens où je croyais alors trouver je ne sais quelle clé, quelle porte sur la pensée, confondant un peu trop peut-être mes états d’âme et les mystères du monde. Mais si la vie ordinaire m’est un peu plus aisée, je n’en sais pas plus qu’alors sur ce qui me fait exister, sur l’autre moitié, l’autre versant de mes jours, sur ce « temps mort » où vivre s’illumine. Il me faudrait me résoudre à accepter que je mourrai un jour sans avoir compris ce qu’il y a de si essentiel pour moi dans les fichus superposés du ciel, les gouttes de pluie sur les carreaux, les coups de fouet en pleine âme que nous font les chants des hommes, et la lumière de leurs regards. »
O.B.