« Un chant précaire, qui tient cependant à chanter, et prétend même se réclamer de grandes formes pour célébrer les tressautements de l’âme: mes émotions sont dérisoires — et j’y tiens. Un goût prononcé pour la disparate: des tas de prunes et Caravage, Aragon et la cathédrale de Laon, des passions anciennes et de plus récentes, des fontaines et du goudron, des lycéens et un vieillard, Bérénice et des fêtes foraines… En amour, je ne choisis pas. Un portrait en feu, et dans tous les sens qu’on voudra… »
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Odes dérisoires
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L’extrait
(pp. 9-15)
ODE AUX FONTAINES
C’est curieux sitôt qu’on en fait le compte
Ne reste de vivre que riens
Au mieux ce qu’on en voit à la surface des fontaines
Dans la ville ronde il me revient un soir d’été
On traversait la rivière elle avait mis sa plus belle robe
C’était une explosion de réverbères et de bijoux
Et c’est banal je le sais bien ces affaires de baisers donnés dans l’odeur des roses
Ses lèvres qui sentaient l’orange chaude je n’y peux rien
De tous les torses qu’on a croisés ne reste qu’une même romance
Leur cœur bat pareil dans le souvenir
Des retours la nuit dans Paris tout éméché de feuilles
La javel des premiers métros
Le jour roulait sous la verrière à La Chapelle de vieux journaux
Encore une nuit sans sommeil
On fait feuilletant les visages l’inventaire de notre vide
Du peu de poids désormais qu’ils auront
À Madrid j’ai compté les corps entrecroisés
Il y avait une pièce à part au fond du bar de nuit
On gaspillait l’amour sur place j’ai tant aimé
L’étreinte à peine camouflée les vêtements demi-ôtés
Toute la précipitation du mensonge des faux-semblants
On ne couchait pas même ensemble c’était debout
Les lits juste faits pour dormir
Il y eut des taxis des rencontres très tard
On n’en sait pas le nom il y eut des amours
Des murmures et des grimoires
Les lettres qu’on a échangées
Toute une vie de salle de bains de draps froissés
Et de retours légers dans l’aube enfin complice
Peut-être plus que tout on aime se dilapider
Changer de bras comme de dieux jadis à l’entrée des temples
Pour voir si la dorure en tient
Un soir aussi plus serein près de la Seine dans un bateau
Les cris de canards et de remorqueurs
On ne revoit plus rien de l’autre qu’un bord de verre où le vin tremble
Mais sa face sous la couleur s’est effacée
C’est ainsi l’on voit mieux la nappe plus tard sur la table que les traits d’un ami
Mort depuis
Et dans le tissu seules les rides un peu le disent
Il y eut à Aix la joie de juillet
À Marseille un premier sourire
Et sous les toits l’atroce studio surchauffé
Où le soleil tombait tout droit sur notre fièvre
Un corps de miel sur un matelas
À Londres il était allemand
Et bruns et blonds tout se mélange
Tout se dérègle tout se raie à mesure que sont faits les comptes
C’est à peine s’il reste à la page un ou deux signes de croix
Quand un jambage couleur de ciel peut-être suffirait
Au lieu de mes repentirs une initiale dans de la neige la trace d’un insecte
Il y eut les soirs de novembre le bar sordide
Les pleurs à rechercher la compagnie des yeux
Simplement des poings et des yeux interchangeables
Pour que la mort ne se voie pas trop
Il y eut sous le ciel picard
Notre première aurore le gris soudain plus beau
Que de sourires dans nos brumes le bouquet plus grand que moi je le traînais
Sur l’asphalte d’immenses roses comme ferait un balayeur
Le cœur battait vraiment pour la première fois j’allais à ta rencontre
Et je jetais dans les pétales sans le savoir la poussière de mes propres pas
Depuis j’énumère et ce sont des rêves à peine
Tout a fané et tout demeure Presque on aurait honte à le dire
Tant est simple dans les fontaines
L’inventaire des eaux glacées.