Ces textes, articulés à une narration sentimentale malmenée, rouvrent, à ras de prose, le territoire poétique à toute la matérialité du réel: trivialité des situations, du langage parfois, révélation de l’âme devant un bock de bière, épiphanie dans une cabine téléphonique. Il s’agit ici d’accueillir le quotidien, d’intégrer à l’écriture une présence qui n’oublierait plus le présent. Entre sentimentalité affichée et ironie, entre dérisoire et dérision, ce nouveau discours amoureux réinvente le geste d’Apollinaire — un « Mal aimé » proche de « Zone » — dans le dynamisme d’un swing où se maintient la promesse de la mélodie.
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Les parquets du ciel
L’extrait
(pp. 7-12)
AMOUR D’ERRANCE
ET NON DE NUIT
Ce titre c’est que nous marchons ensemble dans Paris
Au bout de ses deux bras ses poings de lait cela fait trois pleines lunes
On dira que ce soir l’amour est en promenade
Après tout en prison aussi il y a des sorties
Et non de nuit est un peu faux à y bien penser nous ne nous sommes vus que de nuit
D’où la belle métaphore ci-dessus des globes
Mais par nuit j’entends j’entendais vous m’avez compris autre échange que de pavés
Quelque chose comme le froissé d’un lit
Un duo de chair on écrit la sonate dans une partition de plis
Bref nous avons pour nous les bars de la rue de Lappe l’escalier effondré un restaurant quasi démoli à Belleville
Toute l’atmosphère Mac Orlan Brassaï qui l’entoure
Au point que j’en suis aujourd’hui à mimer la respiration étrangère d’une poésie que je ne connais que mal
Moi c’était plutôt Hölderlin voyez
Et bien entendu on ne me croira pas si je dis qu’aimer est une terrible dépossession
Parce que chaque fois des gogos se prennent ou laissent prendre à la fausse aisance ici du souffle qui n’est assurément pas le mien
J’en étais à l’amour d’errance pas si mécontent après tout du titre
Je le répète un refrain c’est toujours bien analgésique
Quand on ne peut plus pleurer et qu’on est seul ainsi on s’invente des joies de plume
Cela passe le temps de prier
Et puis la contingence de tout à votre avis est-ce que ça permet encore une autre langue que la mienne
Parce que dire diamants perdus dans les mauves comme je les vois
Il s’agit d’étoiles aux pétales de la nuit toujours violette à Paris l’aviez-vous vous-même observé
Donc si je parle d’un bijou et de fleurs ou de mousses autrement que dans ce boitement de faune je suis sûr qu’on va encore hurler de rire
Aussi bien est-ce toujours carnaval si vous saviez comme dedans je fais peintre sur éventail
Avec des bouts d’enfance de-ci de-là qui flottent
Par exemple je dis jour-tartine et la bleue gelée d’un ciel dessus et j’en suis heureux
Ou croque-soleil au sujet de celui qui à mes côtés déambule c’est ainsi
Ou si je ne vous ennuie pas trop prenez ambre pilé pour crépuscule
Et je vais vous parler de lui
Sans savoir si c’est les yeux ou les lèvres d’abord qu’il faut commenter
De toute façon quand l’émotion est en reflux la beauté cela devient une collection de poncifs
Pour vous beau comme un enfant le fils d’un géant avec les lèvres très roses ourlées la cicatrice ou bien la naïveté bleue du regard c’est des histoires
Je ferais mieux de mettre sa photo
Parce que décliner grand et fort et pur pour le corps ça va encore m’attirer des critiques
Gueule d’ange ça ne va pas non plus dis donc ton inconscient c’est la prairie aux lieux communs
Un côté Edith Piaf aussi dans tout ça
Alors je ne dirai rien de lui sinon que je l’aime comme jamais et que j’ai raison
La preuve étant que lui en doute
Que j’aie raison
Et c’est comme cela un soir qu’il était triste que j’ai décidé de l’aimer pour deux lui et moi
Je ne sais pas toutefois si on me suit très bien
La nuit parlons de la nuit la nuit c’est notre maison
Partout où il y a nous d’ailleurs c’est une maison
Un peu froide courants d’air mais bon s’il aime ça
L’essentiel est qu’il n’oublie pas l’hiver quand il part se saoûler de givre de porter son bonnet de laine marine
Celui qu’on peut renverser en casquette deux fonctions pour la même forme est-ce qu’on a le droit d’appeler ça polysémie
Parce qu’alors ça serait bien de lui dire n’oublie pas ton bonnet polysémique
La tour Saint-Jacques comme dans du Breton l’autre fois passée maintenant c’est la gare de Lyon proche et quelques cinémas aussi en commun
Déjà tout un passé
Et le pub que je n’aimais pas maintenant je l’aime est-on con
L’amour alors c’est contagion de métonymies
Tout ce qu’il a touché partout où il a marché l’air qu’il a respiré la nappe où ses doigts se sont posés tout ça aussi je l’aime sans vous parler de moi puisqu’une fois j’ai eu droit à
Tais-toi métonymique
L’ennui c’est qu’on s’en rend compte à l’envers
Le signe peut-être que ça ne suffit pas
Et c’est quand il déserte le monde qu’il est déserté et moi avec davantage toujours que l’inverse La marée d’amour sur tout plus forte quand elle se retire
Dans ces cas-là on pleure sur des banquettes des angles de rues les restes d’un marché
Et tous les passants de dire encore un malade
Je deviendrais élégiaque que ça ne m’étonnerait pas
La maison que je me rêve c’est le genre chalet des vieilles chansons on marche des heures dans la neige la rougeur aux joues et aux poumons
On ferait du feu en rentrant peut-être quelque bazar d’animaux le café criant sa vapeur
Ou des bois en automne j’aime bien c’est joli
En somme j’ai des goûts banals et c’est banal de se promener c’est banal d’aimer
Quand la poésie se refuse au banal
Mais pourtant c’est banal aussi mourir.