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JEAN LAHOUGUE Le domaine d’Ana

Roman

Noé Brideuil, génial linguiste, auteur d’un savant dictionnaire pragmatique de la langue française d’une conception entièrement originale, Alex, son neveu et fidèle collaborateur, et Ana, la sœur de ce dernier et jeune épouse du loufoque professeur, sont les protagonistes d’une aventure échevelée dont l’intrigue conjugue, par un véritable tour de force, l’idée ancienne de la toute-puissance du verbe et les vertiges contemporains de la réalité virtuelle. Cette science-fiction sur la fiction littéraire, écrite dans un style ironiquement cuistre et précieusement cocasse, convoquant implicitement le modèle du Voyage au centre de la Terre de Verne, recouvre en fait une architecture logique souterraine d’une étourdissante complexité basée sur un postulat de langage et quelque vingt contraintes
surdéterminant le texte.

Lire un extrait


Le Domaine d’Ana
Ecriverons et liserons
L’extrait de presse
Le Nouvel Attila
(avril 2005)

Il me paraît primordial de signaler, à l’intention notoire de quiconque nourrirait un préjugé négatif envers Lahougue, qu’il est un auteur protéiforme, mimétique, dont chaque œuvre de fiction convoque ses propres règles de style et d’agencement du récit. Ceci conduit à des textes si variés que je ne connais aucun admirateur inconditionnel de Lahougue: untel porte aux nues tel texte pour détester tel autre qui fait les délices d’un second. etc., etc.
Les termes de parodie ou de pastiche sont inadéquats pour décrire ce travail de mimétisme, lequel vise à aller jusqu au bout de potentialités inexploitées d’un auteur ou d’un genre littéraire pour produire une sorte d’oeuvre ultime, dans laquelle l’auteur susdit ne se reconnaîtrait d’ailleurs peut‑être pas, mais qui constitue du moins un objet textuel autonome. Lahougue (1945-) a débuté dans la collection Le Chemin de Georges Lambrichs, Des cinq volumes publiés de 1973 à 1980 chez Gallimard n’est disponible que le dernier, Comptine des Height, construit autour de Dix petits Nègres d’Agatha Christie.
Ce suspens décalogique égrène une série de dix morts close parle suicide du baronnet John Height, traduction littérale du nom de l'(h)auteur, hougue signifiant « hauteur » en normand: or cette Comptine a faille sonner le glas éditorial dun auteur qui aggrave ce péché originel de hauteur par le double crime de la morgue. Lahougue osa refuser le prix Médicis à lui décerné alors que les imprimerie tiraient à toute berzingue Comptine des Height pour aIimenter Ies voraces têtes de gondole, dont le versatile appétit se tourna aussitôt vers Cabinet-portrait de Jean-Luc Benozigllo au Seuil…
« Mes dix Height valent mieux que Médicis! » aurait proféré ce médisant culturé. De quoi transformer bien des héditeurs en hésiteurs, à commencer par Gallimard mais il existe encore des maisons dont le premier souci est la qualité, grâce auxquelles le nom de ce proscrit n’a pas disparu de la scène littéraire…
S’il faut attendre 1987pour que Les Impressions Nouvelles publient La Doublure de Magrite, c’est que ce pastiche apparent d’une enquête de Maigret constitue un tour de force patiemment élaboré dans lequel la plupart des « hougolâtres » reconnaissent le chef-d’oeuvre de l’auteur. Je témoigne ainsi que ce roman a transformé mon approche de Simenon, au point de rire aux éclats en abordant désormais son oeuvre, tant Lahougue a réussi à saisir ses tics d’écriture et à les magnifier par juste ce qu’il fallait d’exagération
On peut jouir naïvement de La Doublure de Magrite, sans soupçonner la prodigieuse contrainte de situation qui en a gouverné l’élaboration, contrainte qui actualise idéalement l’univers romanesque de Simenon sinon l’essence de la littérature même. Je ne crois pas devoir en dire plus pour laisser le lecteur découvrir lui-même ce que cache la limpidité apparente de ce récit qui contient cependant tous les indices nécessaires à son élucidation.
Le Domaine d’Ana est un véritable OVNI littéraire, un Opus Vernien Non Inventorié, qui frappe la francophonie en 1998, grâce aux éditions Champ Vallon C’est ici un Voyage Extraordinaire au centre du langage qui est proposé, sous la houlette du lexicologue Noé Brideuil, où les héros piégés dans un monde virtuel créé par les mots trouveront leur salut précisément dans ces mêmes mots.
Ce fruit de dix ans de travail est absolument dingue, inimaginable dans sa sophistication et dans sa absurdité. Il suffira de dire qu’un lecteur qui désirerait connaître le dénouement du livre devra, après avoir résolu divers cryptogrammes, compter les mots de chaque phrase du livre (il y en a 2775, et qui ne sont pas forcément courtes) et extraire les mots centraux des phrases comportant un nombre impair de mots,
En fait ce dénouement n’est pas indispensable, mais les amateurs le trouveront dans un ouvrage complémentaire, Ecriverons et liserons en vingt lettres, contenant d’une part les échanges entre Lahougue et Laclavetine à propos de ce livre et de la littérature à contrainte en général, d’autre part la description des 38 (!) contraintes gouvernant Le Domaine d’Ana et les clés de tous ses cryptogrammes.
Après tout, un lecteur béotien n’a pas besoin d’être au courant de toute cette machinerie, et cette histoire pleine d’humour se lit agréablement, malgré les contraintes: « malgré » car est certain qu’un écrivain raisonnablement doué pourrait en donner une version plus fluide, en s’absolvant de tout carcan, mais cette réécriture n’existe pas, et je ne connais pas d’autre oeuvre romanesque dont le sujet suit aussi intimement le langage, sujet pourtant littéraire s’il en est.
Je ressens pour ma part Le Domaine d’Ana comme une nécessité, et qu’un livre puisse être si précisément ce dont il parle ne cesse de m’émerveiller. Pour peu enfin qu’on se prête au jeu de vérifier si Lahougue a bien fait son boulot, on découvrira quelques facéties gratifiantes. Mieux encore, une étrange magie semble avoir doublé ses intentions par des jeux imprévus dont on trouvera quelques exemples ici (http://perso.club-internet.fr/remi.schulz/divers/lahougue)
Lahougue a suivi le modèle des Voyages Extraordinaires jusqu’à illustrer lui-même son livre, par une série de gravures régies par un jeu de contraintes d’une accessibilité bien plus immédiate que les contraintes textuelles, et c’est encore un tour de force qui justifierait à lui seul la possession de ce livre unique.
Lahougue, ce sont encore des nouvelles, marquées du même esprit de remise en jeu de la littérature par la littérature, et des textes divers, à découvrir dans diverses revues (Texte En Main, Formules… ou dans les recueils publiés aux Impressions Nouvelles.

Rémi SCHULZ

Voir le site du Nouvel Attila

Domaine d'Ana (Le) – Jean Lahougue 1998