La musique, en tout cas la classique – nous ne le cachons pas –, est morte. Tout comme l’art – en tout cas l’art classique – est mort. Mais il y a plusieurs manières de mourir pour l’art – et donc pour la musique. L’une est de se voir progressivement substituer son propre négatif autodérisoire, dont la fonction (ludico-critique) est alors d’exhiber ce que nous ne voulons ni voir ni entendre. L’autre est de mourir à la mode hégélienne, celle qui consiste à se conserver tout en se dépassant, c’est-à-dire à se «sublimer».
Toutefois, une exception se fait jour. À côté des dérélictions faciles et de la sublimation diffuse et partout répandue qui fait de l’art d’aujourd’hui un «art à l’état gazeux», il est encore permis de trouver dans la musique, si l’on peut ainsi s’exprimer, un noyau solide : les œuvres majeures du xxe siècle – celles qui relèvent du «nouvel esprit musical» – pointent en direction d’une théorie axiomatique des espaces sonores, dont les chercheurs explorent des modèles possibles. L’existence de cette musique «nouménale» nous a semblé pouvoir inspirer une nouvelle philosophie.
Car, si l’art (classique) est mort, la philosophie (traditionnelle) ne peut pas vivre encore bien longtemps, sinon de cette vie de mort-vivant qui est celle de l’art (classique). Nous lui avons cherché un avenir plus heureux, qui la fît échapper à la pétrification muséale comme à la dégénérescence communicationnelle.
Mais dans une époque où, pour parler le langage du xixe siècle, la participation de l’activité de l’individu à l’«œuvre totale de l’esprit» s’est désormais réduite à rien ou presque, nous ne pouvons guère nous bercer d’illusions. La philosophie, aujourd’hui délocalisée (à l’image des entreprises multinationales et des produits esthétisés qu’elles fabriquent), est probablement déjà, elle aussi, à l’état gazeux. Nous avons tenté, très modestement, de refroidir si peu que ce soit cette transparente vapeur, d’amorcer, si possible, une légère recondensation.
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Philosophie et musique contemporaine
Le sommaire
SOMMAIRE
Introduction
1
Naissance et destruction d’un espace sonore
Les bases de l’espace musical européent:
Gamme, mode, échelle
De la fin des anciens modes à la naissance du système tonal
Des instruments à la voix
Naissance de la polyphonie vocale
Polyphonie instrumentale et révolution copernicienne
La tonalité, du classicisme au romantisme
La destruction de l’espace sonore européen
2
L’extension de la notion de musique
Schönberg et la naissance du dodécaphonisme
La révolution sérielle
Le sérialisme généralisé
L’électro-acoustque: étude des bruits et synthèse des sons
3
Langages musicaux: modèles formels et informels
La réflexion scientifique sur la musique
Quelques théories dissidentes
Réforme et extension du système tonal: Paul Hindemith
Sur quelques innovations de Henry Cowel: clusters, piano
frotté et œuvres ouvertes
Harry Partch: micro-tonalité, tonalité juste
et nouveaux instruments
Le système de Schillinger
Des musiciens contestataires (1):
Le recours au hasard empirique: de Cage à Stockhausen
Des musiciens contestataires (2):
Xénakis ou la maîtrise de l’aléatoire
Vers une axiomatisation de la musique:
la semi-formalisation de Pierre Boulez
Le complexe des hauteurs
Le complexe des durées
La dynamique et le timbre
La notion d’«espace sonore»
Vers une mathématisation de la musique
4
Musique et Nature
Nature et musique: Brève histoire
La notion de «paysage sonore»: de la musique à la géographie
Bruits naturels, signaux sonores, musiques
Bruits d’animaux (1): mammifères marins
Bruits d’animaux (2): animaux terrestres,
insectes, murmures des éléments
Bruits d’animaux (3): Les chants d’oiseaux
Réflexion générale sur le naturalisme en musique
5
Les philosophes classiques de la musique
Musique du monde et musique de la pensée de Platon à Kepler
De Descartes à Rousseau (ou de la fin de l’harmonie cosmique à la
gloire de la mélodie)
Le Neveu de Rameau:
Gloire des passions et triomphe du simulacre
La musique dans l’histoire ou les limites du hegelianisme
La représentation de ce qui est sans représentation
Une décadence de la musique?
6
Les philosophies de la musique contemporaine
Le cas Adorno
Musique, mythe et langage chez Lévi-Strauss
Hugues Dufourt: la musique dans l’histoire de la culture
7
Incidences philosophiques de la musique d’aujourd’hui
Naissance du modèle de la systématicité philosophique:
de la musique grecque aux philosophies classiques
L’architecture leibnizienne et la doctrine de l’harmonie préétablie
Évolution du modèle classique
Au-delà de la totalité
Variations sur l’idée d’un système ouvert
Musique non tonale et philosophie
Pour un dépassement formel des conditions
de la systématicité classique
Esquisse d’architectoniques non classiques
Le premier exemple
Le second exemple
Vers un «programme d’Erlangen» musical-philosophique
Discussion
Conclusion
Conclusion
Bibliographie