Connaissez-vous l’abbé de Saint-Pierre ?
En son temps, Charles-Irénée Castel (1658-1743) eut la réputation d’un utopiste, d’un doux rêveur. Pourtant, son œuvre majeure, son Projet de paix perpétuelle dont les deux premiers tomes parurent en 1713, le dernier en 1717, fonde l’idée européenne et préfigure l’Europe que nous connaissons aujourd’hui. Elle fut sauvée de l’oubli par Rousseau et par Kant.
Au-delà de ce traité fondateur, c’est l’ensemble de son œuvre, immense et méconnue, que ce livre réhabilite. Contemporain de Vauban, de Beauvillier, de Boisguilbert et de Fénelon, tous disparus à la fin du règne de Louis XIV, l’abbé de Saint-Pierre devint leur successeur naturel. Au cœur de la « crise de conscience européenne » qui marque les années 1680-1720, il incarne la transition intellectuelle entre le Grand Siècle et le siècle des Lumières : celle qui transforme les traités des réformateurs en ouvrages de philosophie politique et morale annonciatrice d’une idée révolutionnaire.
L’abbé de Saint-Pierre veut tout perfectionner. Bien avant l’Encyclopédie, l’œuvre phare du siècle des philosophes, il en aborde tous les thèmes : celui de la réforme de l’État et du gouvernement, celui de la réforme fiscale et sociale, celui du progrès économique et de l’unification juridique, celui de l’enseignement et de la morale, tous réunis par la volonté aussi féconde qu’obstinée d’assurer le bonheur du plus grand nombre. Avec un demi-siècle d’avance, les mots de patrie, de citoyen, de nation acquièrent leur force persuasive et démonstrative pour se placer au centre d’un effervescent débat qui sera le cœur de la pensée politique des années 1780, entre naissance, talent et richesse.